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côtoyée, parfois blâmée et souvent contenue. Il put voir, lui, contrairement à Varlin, qu’il n’avait point créé d’ingratitude autour de lui. Il avait, dans une mesure considérable, porté secours à la Banque, il l’avait protégée de son mieux, très efficacement dans un jour de grand péril ; la Banque fut reconnaissante, elle se referma sur lui, le cacha, et lui donna une hospitalité que tous les employés soupçonnaient et que personne ne trahit. Dans le seul intérêt de sa sécurité, on ne lui permettait pas de sortir, mais on le laissait aller et venir à sa guise dans toutes les parties de la vaste maison. Il était calme ; il se frottait les mains et disait : — Je n’ai jamais été si heureux. — Sa première pensée avait été de solliciter de M. Thiers un sauf-conduit de trois jours pour mettre ordre à ses affaires, s’engageant à revenir se constituer prisonnier ; il écrivit au président de la république et au procureur général demandant à partager le sort de ses collègues de la commune, dont il répudiait les crimes, tout en se déclarant partisan de leurs principes. — Ainsi, tandis que les hommes jeunes qui avaient siégé à l’Hôtel de Ville se déguisaient et ne reculaient devant rien pour se mettre à l’abri des lois, ce vieillard s’offrait chevaleresquement en holocauste. Ces lettres, qui sont du 30 mai, ne reçurent point de réponse. M. Thiers savait déjà à quoi s’en tenir sur le rôle que le père Beslay avait joué à la Banque, et il était décidé à ne jamais sévir contre ce doux aliéné. M. de Plœuc, de son côté, qui s’entremettait fort énergiquement pour lui obtenir un passeport, se chargea de lui faire entendre raison et de le maintenir dans son appartement de la Banque jusqu’au moment où sans danger on pourrait franchir une frontière. Charles Beslay prit assez philosophiquement son parti de n’être point martyr. Il s’était mis au travail et préparait très sincèrement de nouveaux statuts qui élargiraient considérablement l’action de la Banque, et qui, je me hâte de le dire, la ruineraient infailliblement, si jamais ils étaient appliqués. Il eût voulu faire de la Banque de France le commanditaire du commerce, de l’industrie, de l’agriculture et des arts. C’est fort simple : tout individu ayant besoin d’argent vient en chercher à la Banque, qui s’empresse de lui en prêter sans intérêt, sur sa bonne mine ; c’est cela que l’on appelle fournir des instrumens de travail aux travailleurs ; en outre l’argent n’est rendu que lorsque l’emprunteur est en mesure de le restituer. Cette opération, dont le résultat n’est douteux pour personne, paraissait une trouvaille merveilleuse au père Beslay, qui disait : — La Banque ne peut que s’enrichir par ce système, car chacun, faisant fortune grâce à elle, tiendra à honneur de lui rapporter le capital avancé et des intérêts proportionnels. — n’expliquait ce qu’il appelait ses idées à M. Marsaud, à M. Mignot, qui souriaient avec bienveillance et ne semblaient pas