ont dû bien rire dans leur barbe en constatant la naïve sobriété de l’ancien délégué aux finances. Que ceci soit à la décharge de Jourde. Il eut absolument tort d’accepter, — de rechercher, — une fonction sous un gouvernement insurrectionnel, mais il sortit de la commune les mains pures de sang, de pétrole et d’argent. Il a prononcé devant ses juges un mot qui doit être retenu : « L’on a favorisé le départ de Beslay, délégué à la Banque, et de Theisz, délégué à l’administration des postes, parce qu’ils ont sauvé ces établissemens ; mais tous deux relevaient de la délégation des finances ; si la Banque et les postes ont été sauvées, croyez bien que je n’y ai pas nui, et que je mérite les mêmes immunités que mes subordonnés. » Sans nous permettre d’incriminer la chose jugée, il nous semble que l’article 528 du code pénal, relatif à l’usurpation des fonctions, suffisait à le punir[1]. Le conseil de guerre n’a point été de cet avis, et Jourde fut condamné à la déportation simple.
Il fut envoyé à la Nouvelle-Calédonie et put utiliser ses aptitudes de comptable à Nouméa. Il eut l’esprit de n’y pas rester trop longtemps ; aidé par un Allemand auquel il avait inspiré de l’intérêt, il prépara un projet d’évasion très hardi, qu’il sut faire réussir. Moyennant une somme de dix mille francs payables à Melbourne, un capitaine de vaisseau américain mit le vaisseau qu’il commandait à la disposition de Jourde et de ses amis, qui en profitèrent. Dans la nuit du 20 mars 1874, Jourde, Ballière, Bastien-Granthille, partis en canot de Nouméa, furent rejoints par Henri Rochefort, Olivier Pain et Paschal Grousset, qui venaient de la presqu’île Ducos[2]. Les six évadés purent gagner le navire et ne tardèrent pas à rentrer en Europe. Cela fit grand bruit dans le temps, et le ministère de la marine ne fut point satisfait. A son arrivée en Suisse, Jourde éprouva une cruelle déconvenue. Il pouvait croire qu’en qualité de ministre des finances de la commune il avait droit à quelque reconnaissance de la part des insurgés impénitens. Au milieu d’une ville en désarroi et de l’administration la plus fabuleusement incohérente qui fut jamais, n’était-ce pas lui dont les efforts avaient réussi à nourrir une armée sans cohésion, une population sans ressource, un gouvernement où le grotesque se mêlait si bien à l’odieux que
- ↑ Art. 258. Quiconque, sans titre, se sera immiscé dans des fonctions publiques, civiles ou militaires, ou aura fait les actes d’une de ces fonctions, sera puni d’un emprisonnement de deux à cinq ans, sans préjudice de la peine de faux, si l’acte porte le caractère de ce crime.
- ↑ Achille Ballière, capitaine d’état-major au bataillon des barricadiers, commandes parle père Gaillard ; Charles, François-Bastien, dit Bastien Granthille, cher du 259e bataillon insurgé ; Paschal Grousset, membre de la commune, délégué aux relations extérieures ; Olivier Pain, chef du cabinet de Paschal Grousset ; Jourde et Rochefort sont connus.