vous étiez capable de trouver du plaisir à tendre des gluaux aux chardonnerets de vos plaines, comme vous nous reviendriez de là-bas refait, raje.uni, nouveau ! Vous avez besoin de prendre un bain de nature au pays natal. En route pour le Lauraguais !
— Et là-bas que ferai-je ?
— Rien, parbleu !
— Et vivre ?
— Vous brouterez l’herbe des champs. L’herbe de Fourquevaux vous vaudra mieux que le bifteck de Paris.
— Quel fléau que la pauvreté ! ..
— Voyons, Laurens, est-ce pour faire fortune que vous avez songé à être peintre ?
— Non certes ! c’est pour faire de la peinture, et de la vraie, si c’est possible, s’écria-t-il fièrement.
— A la bonne heure ! .. Écoutez-moi une minute. L’École des Beaux-Arts a eu tort de ne pas vous envoyer pour trois ans à Rome ; mais vous irez en Italie un jour. Ce jour-là, poussez jusqu’à Assise. Il existe à Assise des œuvres des vieux primitifs, de Giotto et de Taddeo Gaddi entre autres, qui me paraissent faites pour vous intéresser particulièrement. Je vous recommande, dans l’église inférieure du cloître, car vous admirerez deux églises superposées, je vous recommande les quatre figures de Giotto, ce précurseur de Michel-Ange, et, parmi ces figures, celle intitulée : la Pauvreté. Le sujet est simple : saint François se tient debout devant une vieille femme en haillons et lui passe au doigt l’anneau des fiancées… Mon cher, tous ceux qui poursuivent un idéal supérieur doivent, comme saint François aspirant au ciel, avoir le courage d’épouser la mendiante déguenillée qu’il rencontra sur sa route et de faire bon ménage avec elle durant des années, quelquefois durant toute la vie. Certes, à aucune époque les grands talens ne furent plus largement dédommagés, plus généreusement payés de leurs efforts qu’ils ne le sont maintenant ; mais il y a une condition : il faut que les grands talens ne connaissent pas les impatiences des petits et ne s’irritent pas de voir passer devant eux la tourbe bruyante des médiocres, des remuans, avides de tout posséder aujourd’hui, devinant bien qu’ils ne posséderont rien demain. Croyez-moi, l’art, l’art divin, repousse également et ceux qui le traînent au tapage éhonté du charlatanisme et ceux qui le ravalent aux préoccupations abjectes du gain. S’il est agréable, à la minute si brève de la vie, de soulever beaucoup de poussière et de bruit, d’empiler beaucoup d’écus, il est glorieux de laisser un morceau qui traversera les générations.
— Mais ce morceau fameux, le réaliserai-je jamais ?