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Sous le porche roman d’un antique monastère, un groupe de chartreux se tient debout. Saint Bruno est posé un peu en avant. Le mouvement par lequel il détourne la tête pour ne pas voir la profusion d’objets précieux que les envoyés du comte de Calabre déposent à ses pieds, et le geste de ses deux mains qui repousse ces richesses, sont d’une sincérité, d’une justesse incomparables. Comme nous sommes loin de Girodet et de l’attitude déclamatoire jusqu’au ridicule qu’il impose à Hippocrate refusant les présens d’Artaxercès ! Mais Jean-Paul Laurens, dont le caractère profond ne repousse pas une pointe d’ironie, s’est gardé de ne pas compatir à la faiblesse humaine et de nous faire des saints de tous ses religieux. Il en est un, caché juste derrière Bruno, qui coule un regard de convoitise vers les aiguières d’argent, les burettes d’or, les plats niellés de rayures éclatantes, les coffrets étincelans de pierreries. Celui-là, comme l’atteste son visage d’adolescent, est sans doute un novice qui n’a pas dit encore adieu à toutes les vanités humaines, qui cherche encore « ce détachement dans la mort du cloître, » ainsi que s’exprime saint Benoît dans une lettre à sa sœur Scholastique, où les autres sont parvenus.

Les députés du comte Roger sont traités avec la simplicité large des vrais peintres qui, loin de ruser avec la difficulté, vont droit à elle et la surmontent naïvement par la vertu unique du don. Je citerai la figure inclinée devant saint Bruno, la barrette à la main. Quelle noblesse dans l’attitude de ce seigneur se courbant pour parler à un saint, et avec quel art ce personnage est drapé dans son ample robe de velours vert où la lumière ruisselle à flots ! Du reste la lumière, partout épandue, est un des charmes de ce tableau. Il faut voir le caractère communiqué par l’implacable ciel de Calabre, que ne traverse pas le plus mince nuage, à l’architecture des cloîtres, aux murailles élevées du couvent, percées çà et là, irrégulièrement, de fenêtres étroites comme des meurtrières, trous noirs sur un blanc cru aveuglant.

Saint Bruno refusant les offrandes de Roger comte de Calabre, où pour la troisième ou quatrième fois Jean-Paul Laurens touchait juste, lui mérita la croix de chevalier de la Légion d’honneur.

Pour peindre cette sombre toile qu’il a intitulée : le Pape Formose et Étienne VII, Jean-Paul Laurens avait dû ouvrir l’histoire ecclésiastique ; i ! y prit un goût décidé et revint souvent à ce livre. Les luttes violentes des papes, d’abord simples évêques de Rome, pour asseoir leur domination sur la ville, leurs efforts persistans pour l’imposer au monde, les guerres où ils avaient dû s’engager pour soutenir leurs prétentions exorbitantes à la possession de la terre, « que Dieu leur avait donnée en garde, » d’après les mots