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qui s’imaginent nous connaître parce qu’ils ont passé cinq ou six semaines à Paris, dont ils n’ont vu que la surface dorée. Nos sciences, nos arts, nos industries, notre vraie vie de famille, ce qui fait le fond résistant de la société française est demeuré pour eux lettre Close. Ce désagrément n’est pas à craindre avec M. Busken Huet. Non-seulement il a séjourné assez longtemps parmi nous pour nous bien connaître, mais de plus une secrète sympathie qui tient peut-être au sang (car sa famille est originaire de France et alla s’établir en Hollande lors de la révocation de l’édit de Nantes), une certaine affinité de goûts et d’esprit le prédisposaient à comprendre et à bien apprécier notre génie national. Ce n’est pas qu’il ait pour nous exclusivement des éloges. Ses critiques, celle entre autres où, contrairement à l’idée qu’on se fait de nous en Europe, il nous reproche ce qu’il y a de routinier dans notre caractère, ne manquent ni de justesse ni de sévérité. Mais, en somme, c’est un juge impartial, et nous n’avons pas à nous plaindre de ses appréciations.

C’est surtout au point de vue des richesses d’art de Paris et de ses environs, y compris Compiègne, Fontainebleau, Chambord, que M. Busken Huet s’est attaché à décrire notre pays. Il me semble difficile qu’un Néerlandais ne se sente pas pris du désir de venir voir tant de belles choses décrites en style charmant par un écrivain de son pays, car M. Busken Huet est un des meilleurs prosateurs de la Hollande. D’abord théologien, prédicateur très original, puis ayant quitté le ministère pastoral, il se voua au journalisme, rédigea pendant plusieurs années le Journal de Harlem, et alla aux Indes néerlandaises pour y rédiger le Messager de Java (Java Bode), auqual il collabore toujours. Entre temps il a publié quelques nouvelles, et surtout un grand nombre de critiques philosophiques et littéraires. Nous ne serions pas surpris si cet esprit quelque peu inquiet et remuant avait enfin trouvé sa vocation définitive dans la critique d’art. Il fait preuve d’une véritable, érudition dans cet ordre de connaissances et d’un goût pur, large en ce sens qu’il aime tous les genres de beau, sévère pourtant en ceci, que dans tout genre il lui faut l’exquis. Le point de vue qui domine dans ses appréciations et qui nous explique peut-être comment il a su rattacher les questions d’art à ses anciennes études, c’est le point de vue historique. Ce qui nous frappe le plus dans ses considérations sur notre architecture, notre peinture, notre statuaire française, c’est le lien qu’il montre rattachant les productions d’une époque au genre et à l’esprit de la civilisation contemporaine. Il y a des chapitres où plus d’un Français trouverait des rapprochemens tout nouveaux pour lui.

Çà et là nous aurions bien quelques réserves à faire. Ainsi au commencement M. Busken Huet semble encore partager l’erreur très répandue qui rapporte au génie germain l’invention de l’architecture gothique. C’est une erreur suffisamment réfutée aujourd’hui, en