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n’entendrait jamais parler de son vrai père. Melville était mort. Johanna, sentant sa fin approcher, avait voulu revoir le village d’Ilmenoude, témoin de son court bonheur, et elle confia à la sœur Clara tous ses secrets, en lui faisant promettre qu’elle ne les révélerait à son fils qu’en cas d’absolue nécessité.

Grâce à la sœur Clara, Edward, que la mort de sa mère laisse sans ressources, entre à Bruxelles en qualité de secrétaire chez le baron de Vredenborg, vieil érudit ne sortant pas des vieilles chroniques, et se consolant ainsi de la mort de ses deux femmes. Sa fille Hélène était élevée par lui comme si sa vie eût dû s’écouler au milieu des parchemins, bourrée de savoir, parlant grec et latin, sans aucun plaisir de son âge, et ne connaissant d’autre homme, outre son père, qu’un certain Reinout de Meerwoude, le « traître » du drame. En effet, d’une constitution chétive, envieux, vindicatif, ce Reinout avait voulu parvenir par le savoir et par l’intrigue. De là sa liaison avec le vieil érudit et sa fille. Il se croyait sur elle des droits incontestables lorsqu’il découvrit que l’amour, un amour encore inavoué des deux côtés, s’était glissé dans le cœur d’Hélène et du jeune secrétaire. Aussitôt il ne songe plus qu’à empêcher leur union. Il y réussit ; car, assez avant dans les bonnes grâces de la gouvernante Marguerite de Parme, il fait inviter Vredenborg et Edwaïd à une grande fête au palais. Là Edward rencontre une Italienne du nom de Sylvia, sent pâlir son amour pour Hélène et quitte la maison du savant pour devenir le précepteur d’un jeune de Viale.

Nouvelle complication : le comte de Viale n’est autre que son père. C’est par cupidité qu’il avait abandonné la mère d’Edward pour hériter d’un oncle très riche, qui avait posé pour condition que son neveu épouserait une femme par lui désignée. Il n’avait pas hésité, et il avait obtenu à prix d’argent du curé d’Ilmenoude que la page du registre où son mariage était inscrit serait enlevée. Puis il se trouva, après la mort de l’oncle, que la jeune fille indiquée par lui était moins riche qu’on ne l’avait cru. Il rompit donc avec elle au mépris de ses sermens. La fiancée délaissée se réfugia dans un cloître et devint la sœur Clara-dont nous avons parlé. Quelques années après il épousait définitivement une des plus riches héritières de la contrée. Le comte de Viale était un des confidens intimes de Marguerite de Parme, ardemment opposé aux idées de réforme politique et religieuse qui agitaient les Pays-Bas. Il menait souvent chez la gouvernante le précepteur de son fils, celui-ci recevait l’accueil le plus flatteur, et c’est ainsi qu’il devint l’époux de Sylvia. La pauvre Hélène, que Reinout croyait avoir reconquise par là, demeure au contraire fidèle à son premier amour et repousse ses offres de mariage. Plus que jamais irrité contre Edward, Reinout trouve moyen de faire de lui un espion inconscient. Edward en effet se laisse gagner aux idées protestantes et cache même dans son appartement la pasteur de la Tour, huguenot français dont la tête était mise à prix. La