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pompeuses, de décrets souvent enfantins, parfois dangereux. Quand il a fait hommage de sa conquête à Victor-Emmanuel, le temps pressait ; on ne sait ce qui serait advenu des provinces méridionales si Garibaldi et ses collaborateurs n’avaient en toute hâte remis le pouvoir à une administration plus capable de rassurer les intérêts, d’arrêter des vengeances qui pouvaient sembler légitimes, et de garantir la paix intérieure. Ceux auxquels nous pensons, sans même remonter jusqu’au sage et noble Manin, ce sont les hommes d’état dont l’habile conduite sut, après Villafranca et le traité de Zurich, rattacher au royaume subalpin, malgré toutes les difficultés du dedans et du dehors, l’Italie centrale tout entière, c’est Farini dans l’Emilie, c’est surtout, en Toscane, Ricasoli, le baron de fer, comme on l’avait surnommé à Florence.

Nous n’avons point à rappeler ici comment, malgré les regrets et les résistances de la diplomatie française, malgré l’ardente opposition de patriotes aussi justement respectés que Montanelli, la persévérance et la froide énergie de Ricasoli surent conduire la Toscane au plébiscite du mois de mars 1860, où l’annexion au royaume d’Italie fut demandée par 360,775 votans sur 386,445. Ce que nous tenons à constater, c’est que, pendant sa courte durée, un peu moins d’un an, ce gouvernement de transition eut assez de liberté d’esprit pour concevoir la pensée de plusieurs des fondations qui devaient compenser ce que Florence perdait au départ des grands-ducs. Plus de cour, un palais vide ; hier encore capitale d’un état souverain, Florence tombait au rang de simple ville de province. Pour la dédommager, il fallait des institutions qui, de quelque manière, rendissent à la noble cité la position éminente dont semblait devoir la dépouiller cette déchéance au-devant de laquelle il lui plaisait de courir, dans l’intérêt de cette Italie une et forte dont la grande image commençait à se dessiner sous les yeux de l’Europe surprise et encore incrédule. L’idée nationale, en travail d’enfantement, exigeait de tous, des individus comme des cités et des peuples de l’Italie, un sacrifice complet et sans arrière-pensée. Cette abdication, Florence la signerait de bonne grâce et sans marchander. Elle était engagée par son passé ; de Dante et de Machiavel à Niccolini, encore vivant[1], n’étaient-ce pas les grands Florentins qui avaient le plus contribué à faire naître et à entretenir dans l’âme inquiète de l’Italie morcelée cette aspiration et ce rêve qui soudain prenaient corps, par un concours imprévu de circonstances heureuses ? Avant d’entrer dans le domaine des faits, l’unité nationale n’avait-elle pas été comme ébauchée sous les

  1. Voyez, dans la Revue du 15 juillet 1866, l’étude de M. de Mazade sur Niccolini et la vie toscane.