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dont le titre suffit à commander une certaine confiance. L’enseignement de ce que nous nommons les facultés s’en tient donc d’ordinaire aux parties de la science qui comportent d’utiles et faciles applications ; il ne se charge pas non plus de rompre à la pratique ceux qui auront bientôt les leçons de l’expérience. Il ne saurait donc guère faire une place aux théories encore incertaines et discutées, ni à celles qui, par suite de leur complication, ne peuvent être comprises que d’un petit nombre d’esprits préparés par une discipline spéciale. Obligé de se mettre à la portée des intelligences moyennes et de les conduire dans un temps donné jusqu’au seuil de la carrière désirée, il ne peut leur offrir que des idées qui soient tout ensemble admises par tous et aisées à saisir, pour tout dire en un mot, que la science faite, dans ce qu’elle a de plus général, de plus uni et de plus accessible.

Cependant, à côté de la science faite, il y a la science qui se fait, et c’est de beaucoup la plus intéressante ; c’est elle qui ouvre à l’esprit le domaine illimité du possible, que ses hypothèses et ses intuitions hardies illuminent d’éclairs soudains et brillans. Au-dessus des théories qui se répètent d’année en année, dans tous les cours de tous les pays, et qui sont ainsi devenues comme les lieux communs de l’enseignement supérieur, il y a, dans l’ordre des sciences exactes, ces sommets des hautes mathématiques d’où l’œil embrasse sans effort, dans tous leurs détails, les provinces et les cantons des régions inférieures. Il y a de même, dans les sciences historiques et philologiques, ces procédés de comparaison et de critique, ces méthodes délicates et fines qui fournissent les moyens de contrôler les doctrines courantes et qui enseignent à dégager la vérité des témoignages contradictoires el de la multitude confuse des faits ou du moins à la serrer de plus en plus près, par de lentes et sûres approches. De pareilles études, de telles recherches ne pourront jamais attirer et retenir qu’un bien petit nombre de jeunes gens ; elles exigent une vocation toute spéciale, une passion sincère, et du loisir ; elles veulent de plus, pour être cultivées avec fruit, l’institution de cours spéciaux où le professeur soit aussi indépendant que l’élève des préoccupations et des nécessités d’un examen à préparer ; elles réclament enfin tout un appareil d’instrumens de travail libéralement placés à la disposition de cette laborieuse élite. Ceux qui s’engagent dans cette voie, on ne saurait le leur dissimuler, font un sacrifice ; au point de vue de la fortune et des honneurs, ils doivent se résigner d’avance à se voir dépassés par ceux de leurs contemporains qui se hâtent d’atteindre un but professionnel. La société profitera tôt ou tard de ces investigations patientes et désintéressées ; il n’est pas en effet d’invention scientifique, si spéculative qu’elle paraisse aux esprits superficiels, qui