les régions et les époques. Il arrive parfois que le nombre des électeurs qui se rendent au scrutin, au lieu de dépasser le nombre des députés à désigner, lui reste inférieur. Dans ce cas, les électeurs présens n’ont qu’à se donner mutuellement leurs voix, ou mieux ils n’ont qu’à se proclamer élus, car la loi a eu la singulière prévoyance de décider qu’en pareille rencontre tous les électeurs présens seraient élus du fait seul de leur assistance à l’assemblée électorale.
Ces zemstvos de district, ainsi composés des représentans de trois classes différentes, ont une physionomie tout autre que les assemblées provinciales de l’occident de l’Europe. On y voit figurer, à côté les uns des autres, les marchands enrichis des villes, les grands propriétaires des campagnes et les paysans des villages. Le moujik ne nomme pas seulement à ces assemblées des députés de son choix, d’ordinaire le moujik y entre lui-même avec sa longue barbe, ses mains calleuses et son long caftan, avec son ignorance, ses préjugés et ses notions pratiques. On rencontre souvent encore dans ces assemblées des membres entièrement illettrés, et parfois l’ancien serf y siège à côté de l’ancien seigneur qui l’a fait fouetter. A cet égard, ces élections par classes donnent des résultats plus démocratiques que ne le feraient des élections sans distinction de classe, comme en réclament certains démocrates. Le système actuellement en vigueur peut seul assurer aux villageois, aux paysans, une représentation directe.
Chez un peuple moins sage, moins conservateur par caractère, moins respectueux des vieux usages par tradition, une si prompte élévation des affranchis de la glèbe au niveau de leur maître de la veille eût pu avoir de réels inconvéniens. En tout autre pays, cette juxtaposition d’hommes si différens par les idées et l’éducation, ce mode de représentation par catégories, par classes sociales, ayant des intérêts aussi divers, ne serait probablement point sans péril. En Russie, les diverses classes ont pu avoir des représentans distincts dans la même assemblée, sans que dans ces réunions il y ait encore rien eu qui ressemblai à une lutte de classes. L’avenir montrera si un tel mode d’élection ne compromet point la paix sociale, et si la Russie pourra toujours échapper au naturel antagonisme du seigneur et du paysan, du burine et du moujik, de la propriété individuelle et de la propriété commune. En tout cas, tant que ces deux modes de propriété subsistent côte à côte et se partagent à peu près le sol, il semble difficile que chacun d’eux n’ait point aux états provinciaux ses représentans particuliers. Le dualisme de la représentation rurale n’est guère qu’une des conséquences du dualisme de la propriété foncière[1]
- ↑ Voyez dans la Revue du 15 juin 1877, l’étude sur la Propriété des paysans.