Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 28.djvu/419

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ne pouvait toujours prévenir. Or dans les campagnes on ne saurait compter sur le secours des compagnies d’assurance ordinaires ; les risques sont trop élevés pour les compagnies, le paysan est trop pauvre ou trop imprévoyant pour s’assurer à grands frais. Contre un fléau aussi général, aussi terrible, aussi prompt, la liberté et l’initiative privées fussent demeurées longtemps impuissantes. Qu’ont fait les états provinciaux ? Ils ont établi dans les campagnes des assurances mutuelles obligatoires.

En un tel pays, avec le moujik russe, c’était là le seul moyen pratique. Les primes d’assurance sont fixées par les zemstvos et perçues à leur profit comme une taxe supplémentaire ; sous le régime de la communauté des terres et des impôts solidaires, un tel procédé, au lieu de répugner aux habitudes du paysan, s’accommodait aisément à ses idées et à ses mœurs. Ces assurances obligatoires, encore toutes récentes, sont un réel bienfait pour la Russie ; malheureusement les dommages sont si grands, si fréquens, que les zemstvos ont beau élever le taux des primes, ils ne peuvent entièrement indemniser les victimes. C’est à la prévoyance des règlemens, à la vigilance des autorités, à la prudence des habitans, de diminuer le nombre et l’intensité des sinistres.

À cette brève revue des travaux des zemstvos, il faut ajouter dans certaines provinces l’introduction de caisses d’épargne, l’entretien d’une poste locale, l’ouverture de nouvelles routes ou de nouveaux chemins de fer. D’après ce tableau, on ne saurait dire que les états provinciaux soient demeurés inactifs ou inutiles ; ils ont fait, croyons-nous, tout ce que leur permettaient leurs ressources bornées. Et quel a été le principal souci de ces assemblées où dominent presque partout les propriétaires et la noblesse ? C’est avant tout le bien-être et le progrès des classes populaires. Les zemstvos ont pris soin de l’intelligence du moujik par l’instruction, de sa santé par l’assistance médicale, de sa maison, de son izba, par les assurances mutuelles. La même inspiration se retrouve dans toutes les œuvres de ces assemblées territoriales. Grâce à elles, les impôts en nature, les corvées et prestations, dont le fardeau pesait-uniquement sur les classes taillables et corvéables, ont, sous la forme de taxes immobilières, été répartis sur toutes les classes. Les zemstvos ont posé les bases de l’impôt foncier que l’état devra substituer un jour à l’impôt de capitation sur les paysans, et lorsque dans les cercles du gouvernement on a agité la question de la réforme de l’impôt direct, les états provinciaux se sont unanimement prononcés pour l’assujettissement de toutes les classes de la société à l’impôt. Dans ces assemblées, où l’élément populaire est en minorité par le nombre, l’esprit d’équité du siècle et l’esprit démocratique de la nation se sont ainsi hautement manifestés.