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conseils généraux n’ont obtenu que tout récemment et non sans restriction le droit de se concerter et de prendre des mesures communes pour des intérêts communs[1].

En Russie, toute tentative de relier les uns aux autres les zemstvos des divers gouvernemens inspirerait au pouvoir central d’autant plus de défiance que les goubernies russes sont plus vastes et qu’en l’absence de toute assemblée politique les assemblées territoriales se pourraient targuer de représenter la nation. Pour obtenir une représentation du peuple russe, il n’y aurait guère en effet qu’à réunir une délégation des divers états provinciaux. En de graves circonstances, en cas de guerre malheureuse et de péril national par exemple, le tsar pourrait ainsi sans charte et sans constitution, sans élections même, improviser une assemblée en droit de se considérer comme la réunion des mandataires du pays. Pour cela il suffirait de convoquer à Saint-Pétersbourg ou à Moscou les commissions permanentes des états provinciaux[2].

J’ai rencontré des Russes à vues optimistes, qui, même en dehors de toute grande crise intérieure ou extérieure, osaient se flatter de voir tout d’un coup leur patrie mise ainsi indirectement en possession d’une sorte de représentation nationale. Le gouvernement de l’empereur Alexandre II est depuis les grandes réformes du commencement du règne presque toujours resté fidèle à sa louable habitude de ne rien entreprendre sans avoir réuni des commissions ou assemblées consultatives, auxquelles il soumet l’étude des questions à élucider ou des projets de loi à rédiger. C’est ainsi, par exemple, qu’une ou deux années avant la nouvelle guerre d’Orient, le gouvernement impérial réunissait à Saint-Pétersbourg une nombreuse assemblée de notables, composée d’hommes de toutes les parties de l’empire, une sorte de congrès économique, appelé à l’examen de délicates questions qui touchent la réglementation du travail et les rapports des patrons et des ouvriers. Depuis l’institution des zemstvos, quelques personnes s’étaient imaginé qu’en pareilles circonstances le gouvernement ferait appel aux nouvelles assemblées territoriales, qui mieux que personne représentent toutes les classes et tous les intérêts du pays. Naturellement il n’en a rien été,

  1. Voyez M. Paul Leroy-Beaulieu, l’Administration locale en France et en Angleterre, p. 409 et 415.
  2. Au moment où la Russie se préparait à un conflit avec l’Angleterre, quelques-uns des organes les plus influens de la presse, le Golos entre autres, ont proposé de faire établir par les zemstvos des taxes spécules extraordinaires destinées à de nouveau arméniens. C’eût été une manière déguisée de faire voter par les représentans de pays les fonds exigés par la guerre. Les satisfactions données à sa politique par le congrès de Berlin vont dispenser le gouvernement rosse de tout expédient de ce genre.