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honnête, comme quand l’auteur se demande s’il est permis de bâiller à l’académie, question, parait-il, controversée au ir5 siècle et qui dans le nôtre n’en est plus une.

On se figure aisément l’ennui que devaient projeter autour d’eux des académiciens de cette espèce, et cependant ils avaient accès partout. C’était alors le bel air de s’occuper de littérature et de science ; on avait son philosophe et son rhéteur avec qui on affectait de se montrer en public et qu’on traitait chez soi comme des domestiques ; car tous ces parasites que la disette littéraire des Romains attirait, tous ces marchands de philosophie avaient l’échine souple et s’entendaient aux métiers les plus divers. Ce qu’on voulait de ces Grecs, ce n’était pas leur enseignement, c’était leur présence et leur complaisance en toute occasion ; ils allaient et venaient à côté du maître, montant et descendant les escaliers, parcourant les rues, les musées en sa compagnie de manière à bien faire voir aux gens qu’il s’occupait de science ; ils devaient aussi composer ses vers, et, quand les salons étaient pleins de monde, proclamer sa louange à tout propos. Secrétaires et bibliothécaires, ils donnaient aux enfans des leçons et servaient à la femme de messagers galans. Il leur arrivait aussi de pratiquer la magie, de fabriquer secundum artem des philtres pour l’amour et des maléfices pour la haine ; race de bouffons et de laquais soumise aux plus capricieux traitemens, tantôt choyée, tantôt vilipendée, et qui, radoubant les harangues du maître, rédigeant ses bons mots, présidant sub rosa aux banquets académiques, partait en voyage le lendemain dans le fourgon des cuisiniers ! Et néanmoins de tels emplois étaient recherchés à cause des gros bénéfices et des nombreux avantages qu’ils rapportaient ; ces professeurs de rhétorique, quand ils savaient s’y prendre, ne tardaient pas à gouverner toute la maison. Prompts à s’emparer du mari par une habile direction de ses travers pédantesques, de sa jactance et même de ses vices, ils accompagnaient bientôt aussi madame dans ses promenades, pérorant et gesticulant autour de la litière. Admis dans les petits appartemens, ils assistaient à sa toilette, comme nos petits abbés du dernier siècle, et parfois interrompaient la leçon de morale pour laisser à leur noble patronne, aux mains de sa coiffeuse, le temps de recevoir un billet d’amour et d’y répondre. Des classes gouvernantes énervées, routinières, sans nul reste de conviction dans leurs goûts en apparence les plus prononcés, et, chez ceux qu’elles appellent pour les enseigner, la fourberie professionnelle remplaçant les forces productives, c’est l’histoire de toutes les décadences littéraires et autres. Ce qui n’empêche pas certaines œuvres faites pour survivre d’éclore à ces momens crépusculaires.

J’ai parlé plus haut des Dialogues de Lucien, l’Ane d’or d’Apulée