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nous le prouvent. Où s’arrête la parole, la musique commence, où le bas-relief s’arrête, commence la peinture antique ; voyez la Noce aldobrandine, ce tableau du mariage de Bacchus avec Cora nous en dit assez pour rendre inutile tout autre témoignage. Où trouverons-nous que les modernes aient mieux accusé l’expression du sentiment ? Cette Cora, que Vénus endoctrine à sauter le grand pas, n’a point d’égale ; assise au bord du lit, enfermée dans ses triples voiles, elle écoute gravement, et les secrets qu’on lui souffle à l’oreille la pénètrent moins encore de curiosité que d’effroi. Comme attitude, comme trait de physionomie, c’est incomparable ; et ce Bacchus s’appuyant plus bas, impatient, tout de feu sous les roses de sa couronne, quelle pose, quel regard et quel style dans cette jambe qu’il déploie ! A gauche, les Grâces offrent un sacrifice ; à droite, les Muses chantent ; entre le groupe des Muses et le lit, une femme brûle des parfums sur un brasier, préparant même l’atmosphère au mystère qui va s’accomplir. On cherche ce que Raphaël et le Vinci ont pu jamais produire de plus noble que cette figure détachée du chœur des Muses. — Un esthéticien allemand, M. Karl Grün, compare les fresques de la Farnésine à ce que l’art pompéien a produit de plus merveilleux, et nous voici ramenés à notre sujet, dont ces fresques de Raphaël sont comme une souveraine illustration. Vous contemplez l’apothéose de l’amour physique ! Les formes, les attitudes, tout cela respire la beauté ; c’est la plus étonnante reconstitution de l’antique, et vous admirez là le fruit des études faites d’après les bains de Titus sur l’Esquilin ! Il s’agissait de représenter le triomphe d’Éros depuis l’instant où sa mère Vénus livre Psyché à ses persécutions, jusqu’à l’heure de réhabilitation suprême où Jupiter ordonne à Mercure de la ramener dans les cieux : « Lui présentant alors une coupe d’ambroisie, prends, lui dit-il, et sois immortelle. Jamais Cupidon ne se dégagera des liens qui l’attachent à toi. Je vous unis ici à jamais par les nœuds du mariage. »

Ces fresques sont tout le poème ; il y faut voir le malin petit dieu courant et gambadant entre les jambes des Olympiens, dupant, raillant, bafouant tout ce monde, sans égard même pour le terrible Kronion. Dans la scène du jugement, c’est à peine si le père des dieux peut conserver sa gravité, l’austère Junon sent sa majesté se détendre, et la chaste Diane ébauche un sourire, et tout cela n’est encore qu’à moitié l’œuvre de Raphaël, qui s’est contenté de donner le trait et la composition, laissant faire ensuite à Jules Romain. N’importe, c’est assez beau pour qu’on puisse ne rien regretter. Amenez devant ces peintures le Sophocle du Latran, et soudain il entonnera son fameux chœur : « Dieu Éros, vainqueur en tout combat, dieu Éros dispensateur de la richesse, tu veilles la nuit en cachette sur