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pas 6 morts et 28 blessés. Le capitaine Détrie, qui, par sa vigueur et sa présence d’esprit, avait décidé du succès, fut en récompense promu chef de bataillon. Nommé capitaine tout récemment, il portait encore sur sa tunique, en montant au Borrego, les simples galons de lieutenant.

A Camaron, le dénoûment ne fut pas aussi heureux pour nos armes, mais il est des échecs qu’on ne donnerait pas pour des victoires. J’ai eu l’honneur de connaître un des rares survivans de cette affaire. Quarante-cinq ans environ, la taille plutôt petite que moyenne, le teint bistré, les yeux petits et vifs, les traits ouverts, énergiques, dans les gestes cette allure un peu brusque que garde toujours l’ancien militaire sous l’habit bourgeois, tel est au physique le capitaine Maine, aujourd’hui en retraite. A sa joue, marquée d’une balle qu’il reçut en Crimée et qui lui fait comme une large fossette, à la rosette d’officier ornant sa boutonnière, sans peine on reconnaît qu’il a dû passer par de rudes épreuves. Souvent prié de nous raconter l’épisode de Camaron, il s’y refusait toujours, non par fausse modestie sans doute, mais ce souvenir, disait-il, si honorable qu’il fût, ne laissait pas de lui être pénible. Un soir pourtant, comme nous le pressions, il dut céder à nos instances, et c’est son récit, religieusement écouté, que j’ai essayé de reproduire.


I

« Nous faisions partie des renforts de toutes armes envoyés à la suite du général Forey après l’échec de Puebla. Le régiment étranger, qui avait fait si souvent parler de lui en Algérie, allait trouver au Mexique de nouvelles occasions de se distinguer.

Sitôt débarqués, nous avions été dirigés sur l’intérieur : notre 3e bataillon s’était arrêté à la Soledad, à huit lieues environ de Vera-Cruz ; les deux autres, avec le colonel Jeanningros, avaient continué jusqu’à la chaîne du Chiquihuite, en bas duquel ils s’étaient établis, tenant ainsi la route qui de Vera-Cruz mène à Cordova.

Le Chiquihuite est pour ainsi dire le premier gradin qui sépare les Terres-Chaudes des Terres-Tempérées. Vous connaissez déjà par la carte l’aspect particulier du territoire mexicain ; on l’a comparé fort exactement à une assiette renversée qu’on recouvrirait d’une soucoupe également renversée ; les deux rebords de l’assiette et de la soucoupe figureraient, l’un la zone des Terres-Chaudes, qui comprend tout le littoral et qui s’enfonce d’une vingtaine de lieues dans l’intérieur du pays ; l’autre, la zone intermédiaire, dite des Terres-Tempérées ; l’espace plane situé au sommet formerait la troisième zone, celle des Terres-Froides ou hauts plateaux. Ainsi