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distance et sons les rayons aveuglans du soleil, il n’était pas facile d’en distinguer davantage. Pourtant nous n’avions rencontré personne en chemin, et, si quelque mouvement de troupes avait dû se produire sur nos derrières, on nous en eût avertis ; tout cela ne nous présageait rien de bon.

Le capitaine avait pris sa lorgnette. — Aux armes ! L’ennemi ! — s’écria-t-il tout à coup. Et en effet, avec la lorgnette, on les apercevait fort bien. C’étaient des cavaliers ; coiffés du chapeau national aux larges bords, ils avaient, selon la coutume, déposé leur veste sur le devant de la selle et allaient ainsi en bras de chemise.

Comme nous l’apprîmes plus tard, depuis plusieurs jours déjà une colonne des libéraux, forte de près de 2,000 hommes, tant cavaliers que fantassins, et commandée par le colonel Milan, était campée sur les bords de la Joya, à environ deux lieues de notre ligne de communication, guettant le passage du convoi. Une chose les avait attirés surtout : l’annonce de 3 millions en or monnayé, enfermés dans les fourgons et que le trésor dirigeait sur Puebla pour payer la solde des troupes assiégeantes. Grâce à leur parfaite connaissance des lieux et à l’habileté vraiment merveilleuse qu’ils déploient pour couvrir leurs marches, au camp du Chiquihuite on ne soupçonnait même pas la présence d’une pareille force sur ce point. Par contre, toute la campagne était remplie de leurs éclaireurs. Aussi la compagnie n’avait pas encore quitté Paso del Macho, que déjà notre marche était signalée, et 600 cavaliers montaient en selle pour nous suivre. Ils nous acoompagnèrent toute la nuit, à certaine distance et à notre insu. On avait compté nos hommes ; on les savait peu nombreux ; craignant eux-mêmes que leur position n’eût été éventée, les Mexicains avaient résolu de nous enlever pour ne point manquer le convoi.

Au premier cri d’alarme, on donne un coup de pied dans les gamelles, on rappelle en grande hâte l’escouade de la fontaine, on recharge les bêtes, et moins de cinq minutes après nous étions tous sous les armes. Pendant ce temps, les Mexicains avaient disparu. Évidemment une embuscade se préparait sur nos derrières ; le mieux était en ce cas de revenir sur nos pas et de chercher à voir de plus près l’ennemi auquel nous avions affaire.

Nous quittons Palo-Verde en colonne, précédés d’une escouade en tirailleurs ; mais alors, au lieu de suivre la route, sur l’ordre du capitaine la compagnie prend par la droite et s’engage sous bois. Nous y trouvions ce double avantage de dissimuler nos mouvemens et de pouvoir à l’occasion repousser plus facilement les attaques de la cavalerie libérale.

Le bois s’étendait à l’infini dans la direction de la Joya.