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Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 28.djvu/530

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Crète, de Corcyre, de Corinthe, d’Athènes et d’Égine a grandi, aujourd’hui que les vaisseaux de Tyr et de Phocéé ne s’arrêtent même plus aux colonnes d’Hercule, pareille réponse ne serait pas la réponse d’un demi-dieu, ce serait celle d’un brigand dont la tête est à prix et que l’opinion publique met au ban des nations. Au pirate traqué par la trière il ne reste de ressource que la fuite. La trière ne l’atteindrait pas aisément, mais dans les eaux de Délos, ni dans celles de la Cilicie, vous ne verrez jamais pentécontore s’attaquer au soldat de la loi, à ce monstre dont la proue d’airain crèverait d’un seul coup ses bordages et briserait infailliblement sa membrure Les têtes de sanglier de Samos, les pataïques de la Phénicie, qui provoquaient par leur aspect bizarre le rire du roi Cambyse, ces bustes de trières qu’on prendrait pour des dieux chinois, se dressent maintenant partout, respectés des bandits de mer à l’égal de la peau de lion d’Hercule ou d’un baudrier de gendarme. Désormais le commerce a les coudées franches : aussi quel essor nous le voyons prendre ! Pour trouver des flibustiers, il faudrait que les galions de Tyr les allassent chercher au milieu de ces îles de la côte illyrienne qui ont si longtemps abrité les Uscoques. La paix devrait donc régner enfin sur les flots, mais à peine les bandes de pirates se sont-elles évanouies que les flottes de guerre s’ébranlent.

Est-il vrai que les rois de la Grèce, rassemblés en Aulide, aient jamais conduit aux rives de la Troade 120,000 guerriers sur 1,100 vaisseaux ? Le dénombrement d’Homère a beau présenter toute la précision d’un état d’effectif dressé par un chef d’état-major, il n’en existe pas moins des sceptiques qui voudraient révoquer en doute l’autorité d’un document dont on ne connaît pas exactement la date. Ce document, ne l’invoquons donc pas. Les âges héroïques seront bientôt passés ; avec la guerre médique, nous allons entrer dans la certitude de l’histoire. « Construisez des trières ! » répétait sans cesse Thémistocle à ses compatriotes. Un orage formidable menaçait en effet la Grèce ; l’Asie s’apprêtait à fondre sur l’Europe. L’Asie avait une flotte ; c’est de là surtout que venait le danger. La Carie, la Phénicie, l’Égypte, fournissaient aux successeurs de Cyrus des vaisseaux innombrables et « d’incomparables rameurs. » Quiconque a tenu dans les mains un aviron de chaloupe, — l’aile du navire, dit Eschyle, la plume de dix-huit pieds, disent nos matelots, — comprendra ce qu’il fallait de vigueur, d’habitude et d’adresse pour manier, pendant de longues heures, la rame de la trière. Les Romains, avant d’embarquer leurs légionnaires, les dressaient à cet exercice sur la plage. Le chef des Phocéens représentait aussi aux citoyens de Milet révoltés l’urgente nécessité