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calme, mais les éclairs ne cessaient de sillonner le ciel, et la pluie tombait sans relâche. Au milieu des éclats répétés de la foudre, les courans entraînèrent vers la rade des Aphètes, où stationnaient les Perses, des débris de navires et de nombreux cadavres. Les corps, rendus à la surface par Tes gouffres qui les avaient engloutis pendant la tempête du cap Sépias, s’agitaient sous les proues et allaient s’accrocher à l’extrémité des rames. Les champs de bataille n’avaient pas alors cette horreur que leur impriment aujourd’hui les ravages de notre artillerie. Des guerriers couchés sur leur bouclier, les Perses les auraient vus sans frémir ; ces noyés accrochés à leurs rames, ces cadavres à la pâleur verdâtre, à la face bouffie, aux jambes et au corps enflés, les glacèrent de terreur. La flotte de Xerxès ne connaissait pas cependant toute l’étendue de ses pertes. L’orage qui lui jetait les funèbres épaves n’avait pas épargné la division qui devait prendre les Grecs à revers. La plupart des vaisseaux dont se composait cette escadre furent brisés sur les rochers de la côte orientale de Négrepont. Décidément la mauvaise fortune insiste trop. Quand les incidens de ce genre se répètent à intervalles aussi rapprochés, il est bon de réfléchir.

La flotte des Perses diminuait rapidement ; celle des Grecs commençait à grossir. 53 vaisseaux partis de l’Attique vinrent cette nuit même renforcer Thémistocle. Quant aux Corcyréens, sur le concours desquels on croyait pouvoir compter, ils avaient, pour manquer à ce rendez-vous, une excuse toute prête. « Les vents étésiens empêchaient leurs 60 vaisseaux de doubler le cap Malée. » Les Grecs néanmoins se crurent assez forts pour renouveler l’attaque qui leur avait si bien réussi la veille. A la même heure, jugeant non sans raison le coucher du soleil singulièrement propice à leur dessein, ils quittèrent de nouveau la rade d’Artémisium. Cette fois c’est aux vaisseaux ciliciens qu’ils s’adressent. Ils fondent sur eux à l’improviste, et se retirent avant que les Perses aient eu le temps de se reconnaître. Le troisième jour, l’ennemi ne les attend pas ; il se décide à prendre à son tour l’offensive. La flotte de Xerxès n’a pas seulement l’avantage du nombre ; ses vaisseaux sont plus forts, mieux construits, munis d’une vogue plus exercée. A l’exception des Ioniens, dont l’attitude n’a jamais cessé d’être suspecte, les équipages continuent de se montrer remplis de la plus belliqueuse ardeur. On n’est pas sujet du grand roi, on n’est pas descendu des monts de l’Hyrcanie pour subjuguer le Mède à la chevelure flottante et pour asservir l’Asie, sans avoir gardé au fond du cœur le sentiment de sa supériorité sur les autres nations. Or sur chaque trière 30 Perses ont pris place. Xerxès recrute ses rameurs et ses pilotes partout ; il ne confie la garde de ses vaisseaux qu’à ceux auxquels il remettrait sans crainte la garde de sa personne. Ce sont dans la