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ses sujets ! On aurait tort toutefois de prendre à la lettre les lamentations éloquentes que le poète a mises dans la bouche de la mère du grand roi. Le fils de Darius ne revoyait pas l’Asie en vaincu, mais en conquérant. L’Attique avait été subjuguée en trois mois, et, de la Thessalie, Mardonius la tenait encore sous sa griffe. Au lieu de poursuivre la flotte vaincue, les Grecs s’évertuaient en vain à faire le siège d’Andros et à ravager le territoire de Carysto. Un prompt exil allait payer les services de Thémistocle. Tout faisait présager que le Péloponèse serait facilement envahi et occupé dans l’espace d’un second été. Xerxès, il est vrai, avait payé sa gloire de la vie de près d’un million d’hommes. Semblables sacrifices n’étonnent pas outre mesure les Asiatiques. Tamerlan est rentré neuf fois à Samarkande, Soliman le Magnifique a fait dans sa vie quatorze campagnes : on ne leur a jamais demandé ce qu’avaient coûté leurs triomphes. Quand nous jugeons les rois, ayons soin de nous reporter à l’époque où ils ont vécu, de nous placer par la pensée au milieu des peuples sur lesquels ils étendaient leur sceptre. Sans cette précaution, l’histoire ne serait qu’un anachronisme perpétuel, un texte futile à déclamations ; nous n’en pourrions tirer aucun enseignement. La campagne entreprise par Xerxès contre la Grèce ne fut pas le caprice d’un souverain ; ce fut la croisade d’un peuple. L’Asie tout entière s’y porta non pas seulement avec soumission, mais avec une ferveur singulière. C’est qu’en effet il ne s’agissait pas ce jour-là d’ajouter une province de plus aux états du grand roi ; il s’agissait de savoir s’il resterait en Europe une menace perpétuelle pour les rivages de l’Ionie, de la Carie, de la Cilicie, pour Chypre et pour Rhodes, pour la Syrie et pour l’Égypte, pour la Lydie même. L’expédition d’Alexandre devait bientôt prouver que l’instinct des peuples asiatiques ne les trompait pas. D’accord avec les Ioniens révoltés, les Athéniens avaient incendié Sardes. Annoncer aux femmes perses qu’Athènes à son tour était brûlée, ce n’était pas leur apprendre un désastre, c’était plutôt de quoi faire battre des mains aux enfans. Si l’on en croyait Juvénal, Annibal lui-même n’a jamais pu se promettre d’autre fruit de ses peines.

En quittant la Thessalie, en traversant la Macédoine et la Thrace, Xerxès n’avait qu’une ambition : arriver rapidement sur les bords du détroit ; l’abondance attendait l’armée sur l’autre rive. Les deux ponts de bateaux avaient été emportés par la tempête ; la flotte par bonheur était là, exacte au rendez-vous que le roi, dans sa prévoyance, lui avait assigné. Elle transporta en quelques jours les troupes de Xerxès de Sestos à Abydos. Après cette opération, s’il y eut encore des victimes, ce fut un excès de bien-être, succédant à des privations inouïes, qui en fut cause.

La flotte avait sauvé les débris de l’armée ; elle empêcha le