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échantillons minéralogiques et anthropologiques eussent complété l’aperçu de la seule entreprise agronomique tentée par les Japonais depuis l’arrivée des Européens. Mais il eût fallu pour cela quelque place, et les marchands de laques en occupent tant ! Que d’autres choses manquent encore, indispensables pour exprimer la physionomie du pays ! Croirait-on que le visiteur sort de l’exposition japonaise sans connaître le moyen de transport usité ! Il n’a vu ni le kango, dans lequel le voyageur se replie pour se faire porter par deux hommes, suspendu comme un lustre sur les épaules de deux déménageurs ; ni la djinriksha, ce petit cabriolet à deux roues que tire un robuste coulie, et qu’on trouve aujourd’hui au nombre de 40,000 à Yédo et en grande quantité partout où les chemins s’y prêtent. Il n’a vu ni un harnais de cheval, ni un bât, ni une paire de ces chaussons de paille qui tiennent lieu de ferrure aux chevaux et se changent à chaque étape, ni un de ces bateaux effilés qui circulent à la godille le long des canaux, ou à la voile le long des fleuves.


V

Si l’exposition japonaise, tout en demeurant très attachante, est aussi incomplète, ce n’est pas seulement pour laisser ses coudées franches au commerce du bibelot. Sans parler des graves préoccupations que lui créent les soulèvemens intérieurs depuis près de deux ans[1], le gouvernement se trouvait, comme le maître Jacques de Molière, dans un assez étrange embarras, celui de savoir sous lequel de ses deux aspects il se présenterait au public européen. L’invitation de la France est venue le surprendre au cours d’une transformation radicale, entreprise, comme on le sait, depuis 1868, dans ses mœurs, dans ses coutumes domestiques, dans ses traditions économiques et dans ses procédés industriels. Il s’occupe en toutes ces choses d’adopter non-seulement les méthodes et les mécanismes européens, mais encore l’appareil extérieur de notre vie occidentale jusqu’en ses derniers détails. Toutefois cette métamorphose, si précipitée qu’elle soit, ne s’accomplit pas d’un coup de baguette dans tout le pays à la fois ; elle marche moins vite dans les provinces que dans la capitale, elle n’a pas encore atteint les campagnes, — si bien qu’entre l’ancien Japon détrôné et le nouveau Japon en expectative se place un intérim équivoque, une civilisation bâtarde et pleine de contrastes, qui n’est plus ni asiatique, ni européenne. Les rues marchandes d’Yédo sont éclairées au gaz ;

  1. Quelques jours avant l’ouverture de l’exposition, on. apprenait à Paris la nouvelle de la mort du ministre de l’intérieur Okubo, assassiné par des motifs politiques après une longue agitation de toute l’ancienne classe militaire des samuraï.