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l’avenir ; ils semblent se dire : Et après ? qu’arrivera-t-il ? à qui sera le trône ? Ils ne laissent pas d’aller d’un bon pas, d’un pas militaire ; on les voit marcher, on entend la neige crier sous leurs pieds, car la scène se passe au fort de l’hiver. Le funèbre cortège chemine dans un couloir de montagnes, sur une route qui descend rapidement. Un vieux général porte la main à son chapeau qui menaçait de s’envoler, le vent s’engouffre dans son manteau. Un autre officier supérieur, coiffé d’une perruque, le bras en bandoulière, pourrait bien être l’ingénieur français Maigret, « cet homme singulier et indifférent, » comme dit Voltaire, lequel, en voyant tomber le roi, s’écria : — Voilà la pièce finie, allons souper. — Derrière cette avant-garde flotte le drapeau suédois et se déroule à perte de vue toute l’armée en retraite. A droite se dresse un rocher peint avec une étonnante vigueur ; à gauche dévale un précipice où pendent des stalactites de glace. Un vieux chasseur, portant sur son dos un aigle mort dont la blessure ensanglante la neige, s’est mis de côté pour faire place au corps, devant lequel il s’incline ; comme lui, un enfant qui l’accompagne s’est découvert ; leur chien salue d’un hurlement plaintif cette grande et courte destinée qui passe. Un pâle rayon de soleil éclaire l’extrémité de la vallée, le reste est enveloppé dans la brume. Ce remarquable tableau est d’une peinture sévère, presque austère, mais franche et solide. Plus on le revoit, plus on en est frappé ; il ne vous séduit pas, il s’impose à vous. Il s’en dégage une forte et saisissante impression ; l’artiste a soigné le détail en le faisant concourir à l’effet général, et dans son œuvre tout est d’accord, tout est d’ensemble, la brume, la neige, le froid, le vent, l’expression soucieuse des figures et les yeux à jamais fermés d’un héros qui fut un aventurier de génie et mourut dans la force de l’âge, pour avoir lassé la fortune par ses impérieuses sommations. On ne saurait trop recommander cet ouvrage à l’étude attentive des peintres qui cherchent la grandeur dans le guindé, l’expression dans la grimage, l’éloquence dans la déclamation et le dramatique dans le théâtral. M. Cederström a sûrement appris la rhétorique ; mais après l’avoir apprise, il a eu soin de l’oublier, et son exemple est bon à suivre.


III

Les critiques ne se lassent pas d’exhorter les artistes à se vouer au grand art, à l’art sérieux, et ils ont raison ; mais beaucoup d’artistes s’imaginent que le grand art consiste à peindre des rois, des empereurs ou des saints sur une grande toile qui a quatre mètres de hauteur et six mètres de largeur, en quoi ils se trompent.