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jouer. On cherche des héros et des martyrs, on n’aperçoit que des figurans, condamnés à paraître dans une pièce qui n’est pas de leur goût. — Tu as une belle voix, mais tu ne me persuades pas, disait un illustre chanteur à un débutant. — M. Siemiradskî a une belle voix, qui lui a valu une médaille d’honneur ; mais il ne réussit pas à nous persuader.

Il y a dans la section russe nombre de tableaux moins importans et beaucoup moins considérables, qui en revanche sont beaucoup plus persuasifs. Tels sont plusieurs tableaux de genre où les mœurs russes sont rendues au naturel. On voit avec plaisir une scène d’intérieur de M. Maximof, intitulée : Partage des biens dans une famille de paysans, et surtout sa Noce villageoise, qu’interrompt l’arrivée d’un devin, dont le bonnet fourré et la pelisse sont mouchetés de flocons de neige. Les mariés et leurs invités ont des figures expressives, la composition est bien entendue ; malheureusement cette scène est éclairée par des lampes qu’on ne voit pas, et on se demande d’où vient le jour, ce qui fait tort à la noce. Nous n’avons pas été persuadé par le Clair de lune verdâtre et un peu brutal de M. Kouïndji ; la lune n’est jamais brutale, même en Ukraine ; mais nous croyons sur parole M. Mechtcherski, quand il nous montre sa Forêt en hiver. Le milieu de la toile est occupé par un étang gelé, dont on a commencé de tailler la glace. Sur un de ces blocs de glace s’est perchée une corneille ; ses sœurs voltigent alentour. Au fond s’étend la forêt poudrée à blanc, chargée de givre et de frimas, enveloppée d’un brouillard qui donne le frisson.

Les ouvrages que renferme la section russe, si différens qu’ils soient par le sujet, ont tous un air de famille. L’invention en est souvent heureuse et spirituellement conçue ; l’exécution est insuffisante ou dure, la couleur est faible. C’est de la peinture de novice, qui pourtant n’est pas jeune. Le travail a été entrepris avec vigueur et vivement attaqué, mais il n’a pas été poussé, l’artiste est resté à mi-chemin, soit qu’il se défiât de ses forces, ou qu’il fût incapable d’un long effort, ou que sa main ait été prise d’une subite lassitude. Des trois vertus théologales c’est l’espérance qui manque le plus aux peintres russes ; aussi s’arrêtent-ils avant d’être arrivés, et leurs œuvres sont intéressantes, mais elles sont tristes, comme tout ce qui est incomplet. Il y a pourtant des exceptions. C’est une œuvre achevée que le portrait du paysagiste Schichkine par M. Kramskoï. Il est en pleine campagne, il cherche des yeux le site qu’il veut peindre et l’endroit où il ira planter son piquet. C’est une figure admirablement venue, qui est bien dans l’air et qui a de l’enveloppe. La Route dans la forêt de M. Lindholm, d’Helsingfors, est aussi un morceau irréprochable. Cette route traverse une