Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 28.djvu/638

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il est trop brutal pour Paris. Elle est bien singulière aussi cette grande toile d’un bleu sombre que M. Dana a intitulée Solitude, et qu’il aurait mieux fait d’appeler un tableau sans sujet. C’est un morceau de la pleine mer vue pendant la nuit, à la faveur de « cette obscure clarté qui tombe des étoiles. » On y voit tout juste assez pour constater qu’on ne voit rien. On distingue très nettement au contraire ce qui se passe dans la Vallée du paradis à Newport de M. La Farge. Ce paradis est coupé de petits murs en pierres sèches et brouté par des moutons qui ne paient pas de mine. Tel qu’il est, il a un caractère propre que M. La Farge a senti et rendu ; aussi préférons-nous son paysage un peu grisâtre aux intérieurs bretons, aux scènes bavaroises, aux vues de France ou d’Italie qui abondent dans la section des États-Unis.

Cependant on y découvre, en cherchant bien, quelques tableautins qui ont un goût prononcé de terroir. Nous avons un faible pour le Dimanche matin en Virginie de M. Winslow Homer. Quatre nègres et négresses, qui ressemblent beaucoup à des singes, sont occupés à lire la Bible. La vérité dans le sentiment et la parfaite sincérité du pinceau rendent la laideur aimable. Signalons aussi un petit chef-d’œuvre de M. Brown, intitulé le Cirque qui passe. Cinq méchans gamins, alignés sur le trottoir et fort dépenaillés, regardent passer des clowns à cheval. Ces cinq figures sont excellentes, pleines de vie et d’expression, et sur leurs lèvres fleurit ce rire yankee qui semble dire : Tu m’amuses, mais ne va pas t’imaginer que tu m’étonnes. Notons encore un beau Chat de M. Butler junior, lequel n’a rien de commun avec les chats civilisés, raffinés, élégans, aristocrates, coquets et douillets de M. Lambert, vrais gentilshommes de chats, nés pour mordiller des dentelles, pour égratigner des robes de satin, pour se faire les ongles sur des fauteuils en tapisserie, pour se rouler dans la martre et dans l’hermine, dans le vair et dans le gris. M. Butler nous montre un véritable rominagrobis de gouttières, râblé, épais, à l’œil dur. Il s’est accroupi sur le rebord d’une planche, et il guette sa proie, en faisant semblant de dormir. En veut-il à Cuba, perle des Antilles, ou aux mines d’or et d’argent du Mexique ? Espagnols et Mexicains feront bien de se défier, c’est un de ces matous qui ne jouent pas longtemps avec la souris, ils ont bientôt fait de l’étrangler et de l’avaler.

Nous terminerons par la Hongrie ce dénombrement des pays qui n’ont pas encore beaucoup marqué dans l’histoire de l’art. La Hongrie a l’insigne bonheur d’être représentée au Champ de Mars par un peintre dont les premiers essais ont été des coups de maître et qui est toujours allé en progressant ; sa dernière œuvre est la meilleure. Le jury a décerné une médaille d’honneur à M. Munkacsy,