on ne peut douter qu’il n’ait été fort ému et très attristé de la retraite inattendue de son disciple ; sa douleur est profonde, les reproches qu’il lui adresse, les plaintes qu’il fait entendre sortent vraiment de son cœur : et pourtant, quand il veut les exprimer, il déclame, il exagère, et ne peut se délivrer de sa rhétorique. C’est ce qui était arrivé déjà au poète Ovide après ses malheurs. On a remarqué que les deux longs recueils d’élégies qu’il a remplis de ses doléances sincères sont infestés de mauvais goût, comme le reste de ses œuvres ; il conserva pour plaindre ses propres infortunes le style maniéré, précieux, plein d’antithèses et de faux brillans, qu’il avait si souvent prêté à ses héroïnes mythologiques. Il écrivit pour son compte, du pays des Gètes, des lettres tout à fait semblables à celles qu’il avait fait écrire à Hypsipyle ou à Phèdre dans ses Héroïdes. Est-ce à dire qu’il ne ressentait pas véritablement les douleurs de l’exil ? Au contraire, on lui reproche de ne les avoir pas supportées avec assez de courage ; il en fut accablé, mais les mauvaises habitudes étaient prises. Après avoir séjourné vingt ans dans un genre faux, la recherche et la manière lui étaient, pour ainsi dire, tournées en nature. Pour dépeindre les infortunes des autres, il n’avait jamais cherché l’accent du cœur, il ne le trouva pas quand il voulut parler des siennes ; il n’avait fait cas que de l’esprit, il fut condamné à n’avoir jamais que de l’esprit, et sa punition, — punition terrible ! — fut de rester faux dans l’expression des douleurs les plus vraies. C’est la destinée des rhéteurs, et Ausone n’y a pas plus échappé qu’Ovide.
Ce qui me frappe encore plus que ses fautes de goût, c’est sa maladresse. Il est impossible de rien imaginer qui fût moins propre que ses lettres au dessein qu’il se proposait. Pour toucher le cœur du grand pénitent, il fallait entrer dans les sentimens qui l’agitaient, approuver ses projets en partie, montrer qu’on en comprenait la grandeur ; puis lui faire voir que ce besoin de perfection qui le tourmentait pouvait trouver à se satisfaire ailleurs que dans la solitude. Peut-être en lui montrant le bien qu’il lui était possible d’accomplir sans quitter son poste, sans fuir son pays, en opposant aux impatiences de sa dévotion l’attrait d’un devoir rigoureux, pouvait-on espérer d’ébranler cette âme généreuse et avide de dévoûment ? Mais comment Ausone l’aurait-il pu faire ? Il ne paraît rien comprendre à la conduite de Paulin. On dirait qu’il ne peut deviner le motif secret qui l’entraîne hors du monde et lui fait abandonner ses dignités et ses relations. La supposition à laquelle il s’arrête avec le plus de complaisance, c’est que, par un inexplicable caprice, il est dégoûté de son pays natal et s’est laissé séduire par l’Espagne. « C’est la rive du Tage, c’est Barcelone la carthaginoise, ce sont les sommets des monts que baignent deux mers