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le trio inédit de Castillon, un musicien de race celui-là, qui, tout gentilhomme qu’il était, savait son affaire et partait pour devenir un maître quand la mort brusquement l’arrêta. — N’oublions ni l’andantino con moto du quatuor de M. Dancla, ni les pièces pour piano à pédales de M. Ch. V. Alkan exécutées par l’auteur, et tenons compte à M. Widor de son trio pour piano, violon et violoncelle. L’andante surtout mérite nos meilleurs éloges ; c’est dessiné, conduit à la Schumann, et quel sentiment, quelle mélodique simplicité dans le thème ! Ajoutons que l’interprétation était ce qu’on peut rêver de plus parfait, M. Widor jouait la partie de piano en virtuose irréprochable, et le premier violon s’appelait Maurin, c’est-à-dire la sûreté, le phrasé, le brio, l’autorité en personne. Par momens et pour la vigueur de l’attaque, ce coup d’archet-là vaut un coup de sabre. Il y a aussi bien du talent dans les compositions de M. H. Gouvy (quatuor à corde op. 56, trio en si bémol). C’est du Mendelssohn un peu effacé et d’un romantisme doux, rêveur, modéré, toujours sympathique, avec beaucoup de savoir et d’intelligence du procédé instrumental. M. Gouvy doit avoir énormément expérimenté, il a composé des cahiers de lieds comme Schubert, des symphonies comme Mendelssohn, des quatuors comme Cherubini, et je ne m’étonnerais pas qu’il tînt en portefeuille un assortiment d’opéras ; toujours est-il que ses ouvrages font la ressource de ces concerts petits et grands du Trocadéro.

Les Anglais à leur tour sont venus et nous ont donné trois séances des plus intéressantes. Ce n’est plus avec eux, comme avec les Italiens, simplement de la musique comparée, c’est de l’ethnographie. L’Anglais ne se contente pas de prêter de l’attention à ce qui en mérite, il y apporte toute son attention et fait en conscience tout ce qu’il fait. Ouvrez le Times d’un de ces jours passés, vous y trouverez la Carmen de Bizet discutée avec le même sérieux et la même abondance que le traité de Berlin. Au milieu de la préoccupation politique universelle, deux colonnes en petit texte, — quelque chose comme six colonnes d’un grand journal français, — consacrées à l’étude approfondie d’un opéra-comique : d’un côté lord Beaconsfield avec son énorme discours apologétique, de l’autre la dernière création d’un pauvre jeune maître mort naguère, et la même flamme pour les deux sujets, la même passion pour Carmen que pour « la route des Indes ; » tout cela traité avec un sérieux qui donne à réfléchir aux pays qui se croient artistes pardessus tout et qui peut-être ne le sont que trop ! Ces auditions, véritable étude de mœurs nationales, vous saisissent par leur caractère d’impersonnalité. Nul ne prend le public à partie, et ne songe à se mettre en valeur aux dépens du voisin, il n’y a que le maître qui compte, et quand ce maître est mort depuis deux ou trois