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Macchabées, et les Anglais ont cent fois raison de revendiquer cette gloire comme nationale, même inspiration, mêmes procédés, même phraséologie. Händel n’est point tant Allemand qu’on se le figure. Conservons-lui la perruque in-folio des électeurs de Hanovre, mais si nous voulons avoir sa vraie et vivante image, accoutrons le bonhomme de la cuirasse des Rouhdheads.

Il y a dans la voix des femmes anglaises une particularité à signaler : ces voix dépourvues de passion se distinguent par une sentimentalité sui generis, elles ont je ne sais quoi de rêveur, de plaintif et d’abstrait, un charme mélancolique et doux que notre spirituelle voisine de stalle appelait : le lacrymœ rerum. Vous songez à la Desdemona de Shakspeare assise sous les saules, mais sous les saules de l’humide Angleterre ; au pays vénitien, il n’y a point de saules, et la déchirante complainte de Rossini n’est pas faite pour les voix de Mme Mudie et de miss Fanny Robertson, toutes deux gracieusement douées de ce don sentimental, comme vous en aurez la preuve si vous les entendez dans les compositions de M. Sullivan. Le passage à Paris des orchestres italiens nous avait révélé M. Mancinelli, et, toujours grâce à notre exposition, nous connaissons à présent M. Arthur Sullivan, un des compositeurs anglais les plus en vue, le Gounod britannique si vous aimez les termes de comparaison. Son chant triomphal, se couronnant par un verset du Te Deum, est une page écrite d’un style large et bien moderne avec des explosions à tout enlever ; vous y sentez le musicien habile à manier les voix et l’orchestre et capable de grands effets. Ces trois auditions ont eu lieu sous les auspices du prince de Galles, dont l’activité personnelle ne se dément pas. Nous savions du reste et de longue date combien la musique est placée haut dans cette maison royale d’Angleterre. Je laisse à ceux qui ont eu l’honneur d’être les ministres de la reine Victoria et de lire sa correspondance le soin de dire quel homme d’état se dérobe sous le voile de l’auguste veuve, mais ce qu’il m’est permis d’affirmer, c’est que Meyerbeer avait coutume de parler d’elle comme d’une musicienne et d’une esthéticienne hors ligne, et Meyerbeer, si courtisan qu’on lui reproche d’avoir été dans sa vie publique, ne ménageait pas les princes quand il les jugeait entre amis. Il les avait tous plus ou moins fréquentés, se plaisait en leur compagnie et même jusqu’à l’excès, oubliant comme Goethe et Cuvier sa propre grandeur pour se soumettre aux classifications d’un cérémonial ridicule ; mais le diable n’y perdait rien, et, tout en rendant justice et respect à qui de droit, en saluant le mérite et la compétence sur le trône, l’auteur du Prophète ne négligeait pas l’occasion de s’égayer aux dépens de ces rois et reines de féerie qui n’aimaient que la musique d’Orphée aux enfers, et auraient voulu chasser les cuivres de