J’aime bien mieux ses vers, et lui-même assurément prenait plus de plaisir à les composer qu’à écrire ses grandes lettres sérieuses. La poésie fut toujours son faible secret. Il en avait pris le goût à l’école d’Ausone en lisant les œuvres des anciens et celles de son maître. Il continua d’écrire en vers après sa conversion, mais il lui fallut beaucoup changer de méthode, il crut devoir renoncer à la mythologie et ne plus chanter que des sujets chrétiens. Cependant il ne pensa pas qu’il fût nécessaire de cesser d’admirer le passé et de se priver entièrement des ressources de l’art antique. Il a exprimé toute sa pensée à ce propos dans une lettre importante, mêlée de prose et de vers, qu’il adresse à Jovius, l’un de ses amis. Ce Jovius, qui était un bel esprit et un homme riche, avait eu la chance de recouvrer, dans des circonstances extraordinaires et inattendues, une grande somme d’argent qui lui avait été volée. Comme il était de ces lettrés de l’école d’Ausone qui flottaient entre les diverses croyances, chrétiens d’origine, païens d’imagination et de souvenir, il avait attribué son bonheur à la Fortune et l’en avait remerciée. Paulin lui écrit pour le reprendre de ce propos, contraire à la foi de sa famille et de sa naissance ; il lui démontre un peu longuement, selon son habitude, que tout ce qui arrive est l’œuvre de Dieu et non du hasard. Il lui reproche ensuite de trop bien connaître les anciens sages et d’ignorer les saintes lettres, « de trouver le temps d’être philosophe, et de ne l’avoir pas d’être chrétien. » Il s’anime peu à peu en attaquant la sagesse antique, et, contre son habitude et sa nature, il devient dur, presque violent. « Laisse là, lui dit-il, ces malheureux qui se vautrent sans cesse dans leur ignorance, qui se perdent dans les mille détours de leur savant bavardage, qui sont les esclaves de leurs imaginations insensées, qui cherchent toujours la vérité et ne la trouvent jamais. » Le voilà certes fort en colère ; pour être conséquent avec lui-même, il devrait conclure d’après ces outrages, qu’il faut rompre tout à fait avec l’ancienne philosophie, mais il ne va pas aussi loin, et sa conclusion est beaucoup plus modérée. « Il ne s’agit pas, lui dit-il, de renoncer à la philosophie, il suffit de l’assaisonner de foi et de religion, philosophiam non deponas licet, dum eam fide condias et religione. » Et un peu plus loin : « Tu peux prendre chez les sages d’autrefois la richesse et la beauté du langage, comme on garde quelques dépouilles d’un ennemi qu’on a vaincu, afin que, délivré de leurs erreurs et revêtu de leur éloquence, tu puisses prêter à la sagesse véritable cet éclat du discours par lequel séduisait la fausse sagesse. » Ce sont les principes de saint Paulin et de tous les chrétiens sages : ils ne croient pas que le christianisme fasse un devoir de répudier l’art antique, ils veulent que l’on conserve des grands écrivains tout ce qui ne blesse pas les croyances nouvelles, qu’on se contente de changer le fond et qu’on
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