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c’était un dimanche, le dimanche de la Passion, et que l’on votait pour l’élection des membres de la commune ; ils se mirent donc résolument en mesure de célébrer cette belle journée, forcèrent les portes de la cave, y défoncèrent les tonneaux, y vidèrent les bouteilles et se grisèrent si abominablement que les sentinelles montaient la garde vautrés par terre en ronflant. Dardelle fit des observations que l’on n’écouta guère et des menaces que l’on n’écouta pas. Furieux il écrivit à Raoul Rigault, alors délégué civil à la préfecture de police, pour demander qu’on lui envoyât des hommes un peu plus sobres et qu’on le délivrât de « tous ces cochons ! » le mot y est. « Ils ne sont pas polis du tout dans cet endroit-ci, » disait Brid’oison. Je ne sais si l’on fit droit à sa réclamation, mais il dut avoir souvent à la renouveler, car les caves des Tuileries, que l’on savait amplement fournies de bon vin, exerçaient sur la milice communarde une attraction irrésistible. On ne se piquait point de tempérance à cette époque, et tout objet convoité devenait invariablement « propriété nationale. »

Dardelle avait autour de lui un groupe d’officiers assez nombreux dont quelques personnages seulement sont à désigner, parmi lesquels celui qu’il aimait le plus s’appelait Louis Madeuf, plus ordinairement connu sous le nom d’Armand, qui était un pseudonyme de théâtre. Chef d’escadron dans les cavaliers de la commune, chef d’état-major du gouverneur des Tuileries, Madeuf avait alors trente-six ans ; il était maigre, chauve, de taille élevée, et portait sur son visage des traces de fatigue qui ne semblaient dues ni à l’étude, ni à la réflexion. C’était un viveur d’assez bas étage qui le 8 août 1867 avait été frappé à Poitiers d’une condamnation à un an de prison pour attentat à la pudeur, châtiment qui ne l’avait point corrigé de certains goûts dépravés, car le 3 janvier 1870, à Bordeaux, il était condamné à cinq mois d’emprisonnement pour outrage à la morale publique. Peccadilles peu importantes, en vérité, et dont la commune, réparatrice des iniquités judiciaires, ne crut devoir tenir compte. Madeuf était acteur ; il aimait à jouer les traîtres et courait les théâtres de province. Surpris par la guerre à Paris, où il était venu chercher un engagement, il avait passé des éclaireurs à pied de la Seine dans les éclaireurs à cheval. Lorsque ce dernier corps, assez indiscipliné, fut licencié au mois de décembre 1870, on essaya d’en utiliser les débris pour former les cavaliers de la république ; Madeuf y fut admis en qualité de lieutenant et s’y lia avec Alexis Dardelle, qui les commandait. Le 18 mars en fit un chef d’escadron et l’installa aux Tuileries. Il y fut inoffensif ; il avait le service de la garde et de la police du château ; plus d’une fois il fit relever des bataillons indisciplinés et plus d’une fois aussi il fit punir des fédérés récalcitrans. Ses goûts de cabotin, la manie du costume furent sans doute