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provisoires entre les mains des élus du peuple. Il y a en outre une décision importante que nous devons prendre immédiatement, c’est celle relative au traité de paix. Nous déclarons, dès à présent, être fermement décidés à faire respecter ces préliminaires, afin d’arriver à sauvegarder à la fois le salut de la France républicaine et de la paix générale. » — Le délégué du gouvernement au ministère de l’intérieur : GRELIER. » — Jacques West prit sans doute cette proclamation pour une ruse diplomatique destinée à masquer un mouvement militaire, et il attendit avec impatience l’heure d’aller combattre. Cette heure vint pour lui le 2 avril ; il marcha vers le rond-point des Bergères, bien persuadé qu’il allait se heurter aux Allemands, et il se rencontra avec l’armée française, avec ses anciens compagnons d’armes. La déconvenue fut rude. Il assista à la débâcle des fédérés que commandait Bergeret. Ce général de pacotille insurrectionnelle avait beau envoyer dépêche sur dépêche à Pindy, gouverneur de l’Hôtel de Ville : « Des canons, des canons, et vite ! » il mena sa retraite exactement comme une déroute, à toutes jambes. Jacques West sut alors à quoi s’en tenir : sous prétexte de guerre nationale, il s’était laissé pousser à la guerre civile. Il fut dès lors très décidé à ne plus se battre ; mais, entraîné par un faux point d’honneur, ou peut-être simplement par le désir de toucher sa solde de colonel, il n’osa point jeter ses galons au nez de la commune et continua de la servir, mais d’une façon platonique en quelque sorte, sans trop se mêler à son dévergondage. Sous prétexte de mieux former sa légion, il prit un appartement aux Tuileries, entre le pavillon Marsan et le guichet de l’Échelle. Il n’y fit pas grand bruit, se tint à l’écart et se contenta de défendre les employés et les caves contre les brutalités et les effractions de Boudin. Par suite d’un hasard inexplicable, dans cet incendie des Tuileries, qui fut formidable, qui fit sauter des pans de murailles, qui réduisit des marbres en poussière et fondit des bronzes, une frêle feuille de papier échappa intacte ; c’était une lettre de Jacques West : « Au capitaine Rougelot, de la légion alsacienne et lorraine. Capitaine, veuillez, je vous prie, remettre au porteur du présent billet le revolver qui se trouve dans ma chambre à coucher. Demandez-le plutôt à Berger. Tout à vous d’amitié. WEST, colonel de la légion. » — De tout ce que contenait ce château, il ne subsiste que ce billet dénonciateur.

Jacques West n’avait d’autre autorité dans le château des Tuileries que celle qu’il s’attribuait et qu’il trouvait dans sa propre énergie ; il n’en était point de même pour Antoine Wernert, homme âgé de cinquante ans environ, ancien sous-officier aux chasseurs d’Afrique, capitaine dans la cavalerie de la commune, régisseur du palais et spécialement employé comme comptable par Alexis