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Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 28.djvu/780

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employés ahuris de leur « enlever le baluchon, » et se dépitait en disant : « Ce n’est pas possible qu’il n’y en ait pas ! » Ces hommes d’état, qui savaient unir dans de justes proportions la science du législateur à la conception du guerrier, pouvaient, sans se rire au nez, chercher le souterrain qui, partant des caves des Tuileries, doit nécessairement aboutir au Mont-Valérien. Ils ne le trouvèrent pas et furent étonnés. Ranvier et ses acolytes se retirèrent de méchante humeur après avoir recommandé à Bergeret de tenir bon et de ne pas permettre aux Versaillais de faire un pas de plus en avant.

Bergeret n’était encore que général ; il allait cumuler d’autres fonctions, être juge, président de cour martiale et presque exécuteur des hautes œuvres de la commune. Tout le quartier voisin des Tuileries était en rumeur. Les fédérés, revenus de leur premier effarement, dont l’armée française ne profita malheureusement pas, s’agitaient et à tout coin de rue construisaient des barricades. Un pharmacien, M. Koch, demeurant rue de Richelieu, no 44, était sur le pas de sa boutique, regardant ce tumulte et ne dissimulant pas assez le mécontentement qu’il en ressentait, il avait quarante-cinq ans environ, était grand, de bonne tournure ; sa moustache, sa barbiche, son front prématurément chauve, ses lunettes en or, lui donnaient l’aspect moitié bourgeois, moitié militaire, d’un officier de garde nationale ; en veste d’été, les pieds chaussés de pantoufles, les mains dans ses poches, il haussait les épaules en entendant les vociférations que l’on poussait autour de lui. Quelques gamins de douze à quatorze ans s’étaient précipités sur une maison voisine en réparation et essayaient d’en arracher les échafaudages. Le malheureux pharmacien eut la fâcheuse idée de s’y opposer et de renvoyer ces jeunes patriotes en les menaçant de leur tirer les oreilles. Les enfans s’éloignèrent en piaillant, et M. Koch rentra dans son arrière-boutique. Il n’y était pas depuis cinq minutes qu’il vit arriver une bande de fédérés, il saisit un flacon vide posé sur sa table et le brandit n criant : « Le premier qui approche ! .. » On se jeta sur lui et on l’arrêta. Minot, l’ordonnance de Dardelle, s’empara du flacon ; puis, montant à cheval, il prit la tête du peloton qui enveloppait M. Koch. On mena celui-ci au Palais-Royal, devant un chef de légion, Damarey, qui déclara que l’affaire ne le regardait point ; alors on alla trouver le colonel Dardelle. M. Koch lui dit : « Il n’y a rien dans ce flacon. » La foule et les fédérés crièrent : « C’est de l’acide prussique. — C’est de l’acide sulfurique. — C’est de l’eau seconde. — Il a aveuglé des enfans. » Comme Damarey, Dardelle recula devant la responsabilité d’une décision à prendre et donna l’ordre de conduire le prisonnier à l’Hôtel de Ville, où le comité de salut public déciderait de son sort. On se mit en marche ; en avant et à cheval, Minot, tenant toujours le