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tordent, l’arrondissent, l’ouvrent, le cisèlent, l’ajourent, lui font prendre toutes tes formes, le façonnent en grilles, en portes, en balustres, en chenets, en serrures, en heurtoirs, en coffrets. Cette magnifique porte de fer treillissé n’est-elle pas digne des plus beaux palais ? Les ouvriers viennois travaillent le bois avec non moins d’art, ainsi que le prouvent ces grands meubles de chêne à fines arabesques sculptées en relief ou à brillantes incrustations de marqueterie. On remarquera encore, dans l’orfèvrerie et la joaillerie un coffret de style renaissance, ciselé en argent et incrusté de lapis-lazuli, des vases d’église d’argent niellé d’or, et de charmons bijoux d’argent pavés de petits grenats ; dans les étoffes, de grands tapis d’un ton sobre et harmonieux et d’un beau décor, des soies, brochées, des velours frappés, des cuirs peints et repoussés. La céramique viennoise n’est pas à la hauteur des autres industries. Les porcelaines imitées de celles de Sèvres et de Saxe affectent des formes surannées et se couvrent d’émaux discordans. Cependant Vienne était au XVIIIe siècle presque la rivale de Dresde pour la porcelaine. Par contre, la verrerie de Bohême avec ses épais verres ronges où se dessinent en blanc les paysages et les rinceaux, et ses chopes blasonnées d’écussons à lambrequins est bien dépassée par la verrerie viennoise. De véritables merveilles sont ces verres opalins qui s’irisent des nuances changeantes et infinies du prisme. Vienne est encore célèbre pour sa bimbeloterie, boîtes, écritoires, presse-papiers, porte-monnaie et portefeuilles, albums, buvards, éventails de bois et de cuir. On dit « l’article Vienne » comme on dit « l’article Paris. » Nous n’avons qu’une admiration très médiocre pour ces mille riens éphémères qui sont jouets de grands enfans ; mais, étant admis ce genre d’industrie, on doit reconnaître que les Viennois y prodiguent le goût et l’invention.

Avant de quitter l’Autriche, jetons un regard sur sa façade, sorte de grande loggia à l’italienne, à hautes arcades, dont les tympans sont décorés de figures allégoriques, de branches de feuillages et d’arabesques gravées en noir dans la pierre. Avant de quitter la Hongrie, allons à la tsarda ; cette petite maison de plâtre à toit de chaume percé de lucarnes obtient plus de succès à elle toute seule que les somptueuses façades de l’Allée des Nations. C’est là qu’on entend les tsiganes jouer avec tant d’entrain la valse du Danube et avec tant de furia la marche guerrière de Rakoczy. On dit que ces musiciens n’ont jamais appris la musique. — Les rossignols non plus n’ont jamais appris la musique.

Au lieu de la façade de bois découpé qu’on s’attend à trouver en Suisse, ce traditionnel pays des chalets, les Suisses ont élevé une pseudo-maison de ville du XVIe siècle, massive construction de