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réformes du règne de l’empereur Alexandre II ont été d’ordinaire étudiées et exécutées d’une manière isolée et fragmentaire, sans plan d’ensemble et sans principes définis, si ce n’est sans idées générales. Rien n’a été plus étranger à ces grandes réformes, pourtant animées d’un même souffle libéral, que l’esprit systématique qui lie et coordonne les institutions ; elles ont beau être sœurs et être du même âge, ces institutions nouvelles semblent parfois n’être pas filles du même père, tant elles manquent d’air de famille. Sous ses deux grands réformateurs, sous Alexandre II comme sous Pierre le Grand, le peuple russe nous fait souvent l’effet d’un peuple sonnais à des expériences. La Russie possède ainsi simultanément deux modes divers de représentation qu’elle expérimente concurremment. Il serait prématuré de décider lequel des deux systèmes triomphera le jour où l’empire autocratique sera mis en possession d’élections politiques.

En certains pays, en France notamment, les communes urbaines et les communes rurales sont organisées sur le même type, comme si elles ne différaient que par les dimensions ou le nombre d’habitans. Il en est autrement en Russie, et dans aucun pays une telle diversité de régime n’est mieux justifiée. Entre les villes et les villages, entre les municipalités urbaines et les communes rurales, tout est contraste. Tandis que les communes rurales restent le domaine exclusif d’une classe, le domaine particulier du paysan, les municipalités urbaines sont ouvertes à toutes les conditions sociales, sans distinction d’origine. En Russie, cette diversité d’organisation a sa principale raison d’être dans la diversité du mode de propriété. Dans les villes, il n’y a point, comme dans les campagnes, deux modes distincts de tenure du sol ; il n’y a point de classe vivant de la propriété communale et en ayant le monopole[1]. Dans les villes, les habitans ne diffèrent les uns des autres que par le degré de richesse et par l’éducation ; n’étant pas séparés par des intérêts divers ou opposés, ils peuvent aisément être tous réunis dans le même corps électoral.

Cette suppression des anciennes barrières de classes dans les municipalités est cependant toute récente. Du règne de Catherine II au règne d’Alexandre II, les villes ont été regardées comme le domaine propre des classes urbaines, de même que les villages sont aujourd’hui le domaine exclusif du paysan. Sous le régime institué par Catherine II, le noble et le paysan étaient exclus de l’administration de la ville qu’ils habitaient, de même qu’aujourd’hui le propriétaire foncier reste en dehors de la commune où il réside. L’administration municipale appartenait entièrement aux classes dites

  1. Voyez la Revue du 15 novembre 1876.