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du cheval de Saint-Victor ou guet de Saint-Lazare était célébrée chaque année avec autant d’entrain méridional que de magnificence jusqu’à la fin du XVIe siècle. Il n’en resta plus ensuite qu’une assez misérable parodie. Autant en peut-on dire dans la même cité du branle de Saint-Elme, où un certain nombre de jeunes filles et de jeunes garçons, représentant les dieux de la fable et les diverses nations, se promenaient dans la ville en exécutant des danses. Ce n’est dans aucune commémoration nationale qu’il faut assurément Chercher l’origine de la chevauchée de l’âne, à Lyon, procession burlesque dirigée principalement contre les maris qui se laissaient battre par leurs femmes. Un petit nombre de ces célébrations subsiste encore, par exemple la fameuse ducasse flamande de Douai, où paraissent des mannequins gigantesques sous le nom de Gayant et sa famille. Ce qui a établi les fêtes de la Tarasque à Tarascon, de la Granuilli à Metz, du Loup vert à Jumièges, de la Gargouille à Rouen, et tant d’autres, ce n’est, selon toute vraisemblance, aucun décret délibéré en conseil, aucune volonté préméditée ; ce qui les a rendues périodiques, c’est un assentiment unanime et spontané. Il n’en est pas différemment des fêtes patriotiques, d’un caractère beaucoup plus élevé, célébrées à Beauvais en l’honneur de Jeanne Hachette, et à Orléans en souvenir de Jeanne d’Arc. Les pompes qui les accompagnent les rendent pourtant dignes du nom de fêtes publiques dans toute la force du terme, malgré leur caractère local.

La spontanéité, l’initiative populaire, l’acceptation générale qui les rend chères à tous, tel est le trait dominant de toutes ces fêtes. N’exceptons pas celles qui naquirent au sein des mêmes masses directement de l’esprit religieux et aussi d’un esprit fort différent ; je veux parler de cet esprit satirique qui en fait l’inspiration toute gauloise. Les processions et même les pompes du culte, comme toutes les solennités religieuses, répondirent aussi à un besoin d’émotion et de spectacle. Sans oublier les consolations religieuses plus élevées qu’on allait leur demander, elles furent une distraction puissante pour les populations soumises à l’ennui d’une existence monotone ou à d’accablantes tristesses. Enfin quant aux amusemens profanes, dérisoires, qui pénétrèrent au sein des églises elles-mêmes, ils eurent le même but. On y donnait toute sorte de mascarades, on y jouait toute espèce de farces qui prirent des formes assez différentes selon les localités. Chacun apportait sa part d’invention à ces amusemens auxquels on se livrait avec entraînement. Nos aïeux ont-ils vu dans des cérémonies burlesques restées fameuses les profondeurs que nous croyons y découvrir ? Est-il bien sûr que la fête de l’âne fût une réhabilitation du pauvre animal, et que le moyen âge y reconnût, y sanctifiât en quelque sorte sa