Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 28.djvu/861

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

couvert de maisons et dépendances ; des tables solidement fixées sur le sol furent dressées. Ces repas prodigieux se prolongent pendant deux semaines environ. Tous ceux qui viennent, riches ou pauvres, sont reçus et nourris gratuitement. Des cuisines en grand nombre avaient été bâties dans le même enclos, et, dans la crainte qu’elles ne pussent suffire, on avait disposé des chaudières de plomb en nombre incalculable au dehors, en plein air, pour la cuisson des viandes. Les comptes des dépenses faites à cette occasion mentionnent l’acquisition de trois cents tonneaux de vins qui coûtèrent, compris le transport, 643 livres 15 sols 4 deniers. Il en fut bu cent seize le seul jour du couronnement. Ces vins provenaient en grande partie de Bordeaux. Les mêmes comptes relatent l’achat des chaudières de plomb, l’établissement de fours, etc. — Une écurie provisoire, d’une étendue considérable, ajoute le chroniqueur, fut élevée dans le cimetière de Saint-Margaret. Pour que le roi et la reine pussent passer à couvert de leurs appartenons à l’église, on dressa une galerie de bois. Le chœur de l’abbaye était garni d’un plancher provisoire. Les travaux et le vin seulement s’élèvent à 2,855 livres 1 sol 1 denier. Cette somme, d’après des calculs que je n’ai pas à reproduire, donnerait plus d’un million de francs d’aujourd’hui.

Un grief plus sérieux s’élève contre ce qu’il y eut d’excessif dans le nombre et les dépenses des fêtes de l’ancienne monarchie. On dit, et nous venons d’affirmer que ces fêtes furent populaires. Rien n’est plus vrai. Il ne faudrait pas croire pourtant que ce fût sans restriction. On a beau aimer les fêtes, il reste la carte à payer. Il y a toujours eu deux choses que le peuple aurait désiré concilier : l’augmentation dans les plaisirs et la diminution dans les charges. On lui donnait des plaisirs, il applaudissait. On aggravait ses impôts, il criait. Il ne saisissait pas toujours très bien ni très vite le rapport entre ces deux choses, mais un moment venait pourtant où il finissait par s’en douter. Ces accroissemens d’impôts pour cause d’excessives dépenses données en partie aux fêtes, et les murmures qui en sont la suite, qu’ils sont instructifs à suivre à travers l’histoire ! C’est pour subvenir à ces dépenses et amusemens qu’on vit s’établir l’usage de lever à Paris, de trois ans en trois ans, sous le nom de « la ceinture de la reine, » un droit spécial sur le vin. Le pertuisage, le cellerage, frappèrent sur le propriétaire qui mettait son vin en perce ou le plaçait dans les celliers. Le chantelage, établi sur les chantiers, la traite foraine, étaient perçus en partie pour faire face à ces frais. A la royauté fut dévolue une année des revenus prélevés sur les successions collatérales. Comme il fallait que Charles VI trouvât chaque jour de quoi satisfaire à ses amusemens, chaque matin on mit dans son coffre dix écus d’or en monnaie.