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unes aux autres pour boucher des trous. Dans le tableau de M. Makart, il y a beaucoup plus d’unité ; seigneurs, bourgeois et grandes dames, vieillards et enfans, tout le monde s’occupe de Charles-Quint et de son cortège ; mais les visages n’expriment aucun étonnement ni même aucune curiosité, et ne sachant que faire ni que dire, ces comparses gesticulent pour passer le temps. Ils sont bien groupés ; on devine qu’ils n’ont pas choisi leur place, un habile metteur en scène s’est mêlé de l’affaire. Cette toile énorme est moins une peinture d’histoire qu’un beau décor d’opéra, une fin de quatrième acte ; par malheur on a oublié les maillots. Si nous regardons au faire, nous reconnaîtrons que M. Matejko a la brosse plus ferme, plus vigoureuse ; sa couleur générale laisse à désirer, mais il sait peindre énergiquement le morceau. M. Makart a moins de vigueur ; en revanche il possède une facilité étonnante et dangereuse, il peint de pratique, il improvise ; c’est une surface brillante qui manque de dessous, et on pourrait en dire ce que disait un éminent critique d’une œuvre médiocre de Rubens : « La peinture est à fleur de toile, la vie n’est qu’à fleur de peau. » Dernièrement, un concours a été ouvert en Allemagne pour décerner un prix au meilleur feuilleton qui eût été écrit dans l’année. Si on n’a pas donné ce prix à M. Makart, on a commis la plus criante injustice. Le jury l’a réparée en lui accordant une médaille d’honneur, et, pour ne point faire de jaloux, il en a donné une autre à M. Matejko. Nous souscrivons de bon cœur à cette double décision ; M. Matejko et M. Makart sont deux artistes d’un incontestable talent.

On a dit que nous portions en nous-mêmes notre soleil et nos brouillards ; ce que nous voyons dans le monde, c’est le plus souvent ce que nous y mettons. Voilà une réflexion qui vient à l’esprit en parcourant la section du royaume de Hollande. Les artistes de ce noble petit pays, qui selon l’expression de Voltaire « a été le plus singulier et le plus beau monument de l’industrie humaine, » ressemblent bien peu aux Van Ostade, aux Van Steen, aux Cuyp, aux Potter, aux Wouwerman. Que leur main se soit alourdie, ce n’est pas surprenant, le don des miracles ne se transmet pas de siècle en siècle. Ce qui nous étonne, c’est qu’ils continuent comme leurs illustres ancêtres à peindre la contrée qu’ils ont sous les yeux et qu’ils la voient d’un œil bien différent. Cette contrée est restée la même ; au XVIIe siècle comme aujourd’hui, la Hollande était un pays plat et un peu monotone, un pays de pâturages et de canaux ; au XVIIe siècle comme aujourd’hui, elle avait de longs hivers et un ciel brumeux. Les mœurs elles-mêmes ont peu changé ; le Hollandais est toujours un peuple libre, commerçant, calculateur et riche, et Amsterdam est un des marchés monétaires où les gouvernemens