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suites de Bach et Händel : une espèce de prélude d’abord, un air large ensuite, puis quelques dessins mouvementés, pour finir par un allegro qui s’accélère de minute en minute. Sauf quelques exceptions, le ton reste le même dans tous ces morceaux, dont le peu de cohésion s’oppose à toute modulation compliquée. Le mode majeur n’en est pas autant banni que de la musique slave, il alterne avec le mineur d’un morceau à l’autre, de même que la gravité des cordes basses avec l’éclat de la chanterelle.

Cette ordonnance naïve, mais judicieuse, ne date que d’à peu près quarante ans : depuis que les chansons, les danses populaires se sont vues admises à L’honneur d’être jouées par les tsiganes. Jusqu’alors ils s’étaient renfermés dans l’exécution des morceaux graves, guerriers, s’adressant à la noblesse seule, qui formait seule le gouvernement et l’armée. C’était l’époque héroïque de la musique hongroise. Quelques grands seigneurs, ne voulant pas abdiquer leur nationalité à la cour séduisante de Vienne, où régnaient des mœurs étrangères, vivant retirés dans leurs vastes terres, repoussant toute idée de progrès, protestaient ainsi sourdement contre le despotisme qui envahissait la Hongrie sous les traits de la civilisation occidentale. Il n’y avait plus de chef pour se ranger sous sa bannière ; les longues guerres malheureuses avaient découragé les plus ardens ; on n’avait d’autres ressources que les stériles discours à la table verte des diètes, ou le maintien religieux de tout ce qui venait des ancêtres, fût-ce la coutume la plus baroque, la plus ruineuse. Avoir un poète attitré, qui était très souvent en même temps le fou du château, entretenir une bande de tsiganes qui suivait partout le maître, et dont les familles campaient à proximité pour pouvoir profiter de toute bonne aubaine, tel était le devoir de chaque gentilhomme hongrois qui aimait son pays ; tel était le seul moyen de sauver le génie persécuté de la nation ! Aussi est-il difficile à un Hongrois de ne pas s’attrister en pensant à ces orgies sans fin, où s’engloutissaient des fortunes entières, où des folies sauvages s’emparaient des assistans, mais où s’étaient réfugiées la poésie, la musique nationale d’alors. Voilà l’image de l’auditoire pour lequel Lavotta, Csermak, Bihary devaient composer leurs plus beaux hallgató-notas, morceaux pour être écoutés ! Voilà pourquoi ces compositions, — des adagios, en hongrois lassu (lachechou), suivis d’une courte coda plus animée : tzifra ou fris (friche), — ne racontent que des passions impersonnelles. La femme, l’amour, n’y paraît que discrètement. Cependant au commencement des fêtes on n’excluait pas le beau sexe ; chefs de famille et matrones se tenant par la main et précédant les couples de la jeunesse traversaient majestueusement les salles sur le rythme bien cadencé d’un palotas (palotâche,