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coloris classique et rend les variations, les improvisations des exécutans possibles et musicales malgré leurs hardiesses ; il expose et accompagne le chant et peut à la rigueur fonctionner seul. Pour en relier les quatre parties, qui ne sont pas toujours bien près les unes des autres et ne frappent pas toutes les notes nécessaires des accords, et aussi pour remplacer les instrumens à vent, les tsiganes ont adopté le tsimbalom, le piano primitif, dont les arpèges font longtemps vibrer les harmonies. C’est la clarinette qu’ils chargent de doubler le chef, le premier violon, et, n’ayant pas besoin de grandes sonorités, ils ont laissé de côté les cuivres et les timbales.

Leur mémoire tient du prodige ; elle leur permet d’aborder sans préparation n’importe quelle composition hongroise, ancienne ou moderne. Leur chef se contente d’indiquer a mezza voce les premières notes d’un morceau quelconque, et toute la banda aussitôt le saisit et l’accompagne dans le ton voulu, à partir de la mesure suivante, circonstance qui ordinairement déroute l’auditeur ; il croit entendre des phrases d’un rythme inégal, ne comptant pas pour une mesure le commencement de la mélodie, joué par le violon. Du reste, quand on demande aux tsiganes un air déterminé, cet inconvénient disparaît immédiatement ; tous l’attaquent à la fois et avec beaucoup de vigueur, sachant d’avance le ton dans lequel le chef a l’habitude de le jouer.

Mais la vigueur de leur interprétation n’est pas due à la netteté de leur souvenir seulement ; soit espoir du gain, soit satisfaction de l’orgueil d’artiste, soit besoin d’être en communication magnétique avec leur auditoire, ils se surpassent s’ils ont à obéir à une volonté exprimée, au contraire des artistes véritables, qui depuis le temps d’Horace préfèrent donner ce qu’on ne leur demande pas. Peut-être faut-il voir dans cet abandon de toute initiative personnelle un vestige de la servitude que les tsiganes enduraient dans leur patrie mystérieuse. En tout cas, ils en ont gardé l’esprit de caste : les enfans des chefs deviennent chefs à leur tour sans contestation de la part des autres membres de l’orchestre, qui sont souvent plus forts que leurs jeunes primas inexpérimentés. — La vanité les excite beaucoup à l’émulation ; personne ne veut jamais interrompre son jeu ; ils jouent toujours tous, et suppléent aux combinaisons orchestrales par des piano imperceptibles, des forte puissans, et exagèrent les contre-temps du rythme choriambique par des points d’orgue démesurés pour reposer l’oreille dans un accord bien attaqué. Leur accompagnement manque de mouvement et d’indépendance ; mais, comme ils emploient toujours des harmonies se changeant très rapidement, l’uniformité qui pourrait en résulter est moins sensible et donne un caractère sérieux même aux mélodies dont le dessin n’est pas assez élégant. En fait d’accords