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Lewis Bogy et George Willard, de la silver-commission, voulaient même l’introduire immédiatement à tout risque. MM. George Walker, Dana Horton et le docteur Linderman[1], directeur de la Monnaie, ont prouvé que le seul moyen de maintenir aux États-Unis la monnaie bimétallique était d’adopter entre les deux métaux le rapport de valeur en vigueur généralement ailleurs. Il est évident en effet que, si les États-Unis conservent leur rapport de la 16, ils portent le coup de mort au bimétallisme en Europe et empêchent ainsi l’argent de reprendre sa valeur primitive. Ils forcent tous les pays à s’acheminer vers l’étalon d’or. La France et l’union latine ne pourraient plus permettre la frappe illimitée de l’argent, sans voir aussitôt les dollars américains se précipiter vers l’Europe par la même raison qui a empêché précédemment l’Union de garder dans sa circulation le dollar de 412 1/2 grains repris par le Bland-bill. La raison en est simple. Pour obtenir un kilo d’or aux États-Unis, il faut donner 18 kilos d’argent, tandis qu’en France il n’en faut livrer que 15 1/2. Voici l’opération que feraient les changeurs : ils prendraient à New-York, en dollars, 15 1/2 kilos d’argent qu’ils feraient monnayer à Paris en écus de 5 francs. Ils échangeraient ces écus contre un kilo d’or en napoléons, et au moyen de ce kilo à New-York ils se procureraient 16 kilos d’argent ; donc bénéfice net : un demi-kilogramme d’argent, soit environ 100 francs obtenus avec un capital de 3,000 francs en moins d’un mois. Ce capital procurerait donc un profit annuel de 1,200 francs. L’opération serait si avantageuse qu’elle ne s’arrêterait que quand il n’y aurait plus d’or en France ou plus d’argent aux États-Unis.

Si donc l’Union américaine conserve entre l’or et l’argent le rapport de 1 à 16, la frappe de l’argent restera forcément interdite en Europe, et l’Amérique devra à elle seule soutenir la valeur de ce métal par ses besoins monétaires. Cette situation d’isolement serait des plus fâcheuses, et pour les relations commerciales et pour la valeur future de l’argent, que l’Amérique tient à relever. Elle a le plus grand intérêt à ce relèvement. En effet, elle produit presque autant d’argent que le reste du monde réuni : environ 150 millions de francs en 1877 ; en outre, San-Francisco tend à remplacer Londres pour le paiement de la balance en argent à l’Asie. Elle y expédie annuellement déjà pour 30 à 40 millions de ce métal. Rien de plus naturel : il est produit dans l’état voisin de Nevada. Au lieu de prendre le chemin de Londres pour être expédié de là en Chine, — sur un ordre de Londres à San-Francisco, il part directement pour l’Asie à travers l’Atlantique[2]

  1. Voyez son excellent livre Money and legal tender in the United States. Le témoignage du docteur Linderman ne sera pas suspect aux partisans de l’or, car il l’est aussi, et il n’a cessé de combattre le Bland-bill.
  2. Par acte du congrès du 12 février 4873, et sur la proposition du docteur Linderman, on frappe maintenant pour les échanges avec l’Asie un dollar du commerce, trade dollar, de 420 grains, qui est extrêmement recherché en Chine, — On en a émis déjà pour 150 millions de francs, et la demanda augmente.