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et les Athéniens condamnés à cent talens au lieu de cinq cents. Tout fut pour le mieux : Athènes gagna quatre cents talens et Rome apprit à penser.

Si Caton eut tort de mépriser les lettres et la philosophie, il avait bien raison de railler dans son discours au sénat les « enfans des Grecs » dont les occupations étaient en effet assez ridicules, depuis qu’ils avaient été condamnés aux loisirs forcés de la servitude. Sous la domination macédonienne ou romaine, ne pouvant plus agir, ils se dédommageaient en parlant. Le scepticisme de la nouvelle académie, par cela qu’il n’affirmait rien, permettait de disputer sur tout. Un contemporain, un Grec, Polybe, nous a laissé un spirituel tableau où il nous fait assister à cette folie savante et bavarde qui s’était emparée des maîtres et des élèves. « Quelques-uns de ces philosophes, pour embarrasser leurs adversaires, dans les questions les plus claires aussi bien que dans les plus obscures, usent de telles subtilités, savent vous troubler l’esprit par de si trompeuses vraisemblances qu’on en est à se demander s’il ne serait pas possible de sentir à Athènes l’odeur des œufs cuits à Éphèse, et si, dans le moment même où on se livre dans l’académie à ces disputes, on n’est pas tranquillement chez soi discourant sur autre chose... En, proie à cette manie, les jeunes gens laissent là les questions de morale et de politique, qui seules ont de l’utilité en philosophie, pour chercher leur gloire dans un vide et paradoxal parlage. » Sans doute il eût été fâcheux que cette espèce de maladie mentale pénétrât dans Rome, mais il n’était pas à craindre que la jeunesse romaine s’éprît de ces inutiles exercices. Son esprit était d’ailleurs trop peu souple et trop lourd pour se plaire à ces agilités et à ces tours de la sophistique. A l’opposé des jeunes Grecs dépeints par Polybe, les jeunes Romains devaient ne chercher dans la philosophie que l’utilité pratique, c’est-à-dire précisément la politique et la morale. Sans doute le scepticisme de Carnéade ne leur apportait point la vérité, mais par l’incertitude piquante où il les laissait il les incitait à la chercher. Au premier abord, on est tenté de dire qu’une doctrine sceptique, le dernier fruit d’une civilisation fatiguée, désabusée et sénile, n’était pas faite pour un peuple jeune encore ei à ses débuts ; mais bientôt on reconnaît qu’il fallait d’abord à Rome mettre les esprits en branle, les agiter, les troubler même, montrer qu’il y a des problèmes et par l’éloquence produire un certain entraînement vers la philosophie. Pour des esprits pesans et inertes, il n’y a de coups qui portent que ceux qui renversent. L’étonnement est la première des forces persuasives, et de tout temps une certaine inquiétude a été l’origine de la philosophie. Qu’on estime peu en lui-même le scepticisme de Carnéade, nous le comprenons,