elles résument toute sa politique allemande et nous montrent l’importance qu’il attachait au conflit des duchés de l’Elbe et la peine qu’il s’était donnée de longue date pour diviser et pour paralyser les puissances les plus directement intéressées au maintien de l’intégrité de la monarchie danoise. Il n’a pas voulu laisser à la piété de ses héritiers ou à ses historiographes futurs le soin de nous initier à ses pensées intimes et à ses conceptions politiques; il a préféré devancer la postérité et se présenter à elle de son vivant, éclairé sous toutes ses faces par une lumière habilement ménagée. Il a composé son portrait tel qu’il le comprend et qu’il voudrait définitivement le faire accepter par l’histoire. Remontant jusqu’au point de départ de son existence politique, il a cherché à établir par les révélations les plus familières, qui nous font pénétrer dans le cercle étroit de son existence privée, qu’à toutes les heures et dans toutes les circonstances de sa vie il n’a jamais été préoccupé que d’une seule pensée, la grandeur de son pays. Il a voulu prouver surtout, au risque de froisser un amour-propre auguste que tout lui commande de ménager, que bien avant d’être appelé dans les conseils de son souverain il avait déjà conçu et préparé les événemens qui ont assuré à l’Allemagne son unité. C’est en effet l’impression qui se dégage de ces publications anticipées, et, bien qu’il n’ait pas été le seul à poursuivre le rêve de l’agrandissement de la Prusse et de la prépondérance germanique, on est forcé de reconnaître que personne n’a consacré à la réalisation de ce rêve plus de persévérance et de sagacité. Partout où le conduisent les hasards de sa fortune, il ne voit, il ne poursuit que le relèvement de son pays. C’est à Pétersbourg surtout, au milieu d’une existence frivole et désœuvrée, que son esprit, fort de l’expérience acquise à Francfort, s’attache à la solution du problème germanique. Il médite et arrête le programme que son souverain, lorsque l’heure fut venue, devait l’autoriser à mettre à exécution. Il est telle de ses dépêches, celle qu’il adressait le 12 mai 1859 au baron de Schleinitz, alors ministre des affaires étrangères, qu’on dirait écrite après la guerre de Bohême; il y prévoyait jusqu’à l’abstention de la Russie et de la France.
Il ne faudrait pas cependant induire de ces lettres triées sur le volet que dès son entrée dans la vie politique M. de Bismarck ait conçu et poursuivi les grandes choses que la fortune lui a permis de réaliser. Il a traversé bien des phases avant d’incarner en lui l’idée allemande et de la personnifier, et ce serait une erreur de croire qu’une unité absolue d’action et de pensée ait présidé à cette existence si remplie. Elle a eu, comme tout ce qui est humain, ses heures d’irrésolution et d’inconséquence.