s’étaient écoulées à peine, et déjà il n’y avait plus de fautes à commettre. Le principe des nationalités nous poursuivait comme un spectre. Nous devions le retrouver partout, en attendant qu’il se retournât contre nous, même en Danemark, où il nous condamnait au sacrifice de notre alliance la plus vieille et la plus fidèle. L’étoile de l’empereur commençait évidemment à pâlir; une malchance décidée semblait se jeter à la traverse de toutes ses entreprises, soit que, sous l’impression d’une santé chancelante, il eût perdu la foi qui l’inspirait à ses débuts, soit qu’il manquât aux hommes d’état investis de sa confiance la qualité préférée de Mazarin, le bonheur.
Dans la situation d’esprit où se trouvait Napoléon III, il devait être plus accessible que jadis à des conceptions qui lui ouvraient des perspectives nouvelles et le flattaient de l’espérance d’un retour de fortune. C’est dans ces conditions physiques et morales qu’il permit au ministre dirigeant de Prusse de développer devant lui son programme tentateur.
M. de Bismarck se trouvait lui-même à une heure décisive pour ses destinées. Il pouvait, en se promenant sur la plage déserte de Biarritz, répéter le mot de Hamlet : To be, or not to be. Au point où il en était arrivé, il y allait de son existence politique ; il suffisait d’un mot, et l’œuvre qu’il échafaudait si laborieusement pouvait s’écrouler comme un château de cartes. Ce mot ne fut pas dit. Aux préventions défavorables avait succédé une curiosité bienveillante et attentive, et notre ministre des affaires étrangères lui-même, moins dédaigneux, devait se mettre en frais lorsque M. de Bismarck revint à Paris. Notre politique était décidément en progrès ; elle ne redoutait plus les complications, et si elle ne les encourageait pas, elle se croyait assez sûre d’elle-même pour pouvoir dominer et diriger les événemens lorsqu’ils se produiraient.
Que se dirent M. de Bismarck et Napoléon III? C’est un secret que l’empereur a emporté dans la tombe, et que M. de Bismarck, qui a déjà soulevé tant de voiles, n’a pas jugé à propos de révéler. Le récit de leurs entretiens se retrouvera sans doute un jour aux archives de Berlin dans les rapports que le ministre prussien adressait à son roi. A défaut de documens certains, nous en sommes donc réduits à des conjectures plus ou moins autorisées. Cependant les confidences que M. de Bismarck laissa échapper à son retour à Paris et dont quelques-unes ont été recueillies par la diplomatie italienne, aussi bien que nos déclarations officielles avant la guerre et les négociations que nous avons poursuivies à Nikolsbourg, forment un faisceau d’élémens assez importans pour nous permettre de reconstituer la pensée qui présida aux entrevues de la villa Eugénie.