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prévoyait la défaite; il réservait les sacrifices sérieux pour les cas désespérés, lorsqu’il s’agirait du sort de la monarchie prussienne. Il se flattait qu’en graduant ses concessions d’après la marche des événemens et les résultats de la guerre, il pourrait les concilier avec le sentiment national et régler nos avantages suivant l’assistance que nous lui aurions prêtée.

De toutes les combinaisons, notre extension au nord était celle qui lui agréait le plus. Elle devait nous compromettre aux yeux de l’Europe, nous susciter l’inimitié de l’Angleterre et servir à M. de Bismarck de prime d’assurances le garantissant aux dépens des autres contre toutes les surprises. En tout cas, il ne craignait pas d’entrer dans le vif des questions ; il les abordait avec une virilité peu commune, les envisageant sous toutes leurs faces, et, s’il différait sur les moyens de nous satisfaire, il ne variait pas sur la nécessité de s’entendre avec nous. Il eut la rare fortune de n’être pas pris au mot dans les momens où les sacrifices s’imposaient, et, lorsqu’après ses victoires on vint lui rappeler intempestivement que l’heure des échéances avait sonné, il se trouvait libre de tout engagement contractuel, sinon de toute obligation morale.

Nous étions à la fin de 1865 les arbitres de la guerre, et il n’aurait dépendu que de notre prévoyance et de notre habileté de l’être également de la paix. Rien ne nous empêchait de nous prémunir contre toute équivoque et tout mécompte, nous étions en situation de dicter nos conditions, nous pouvions nous assurer notre liberté d’action tout en mettant M. de Bismarck en demeure de résumer ses déclarations par écrit sous la forme d’une note diplomatique, en échange de notre neutralité et de l’alliance italienne. Mais, tandis qu’à Plombières on avait concerté une entente prévoyant toutes les éventualités et poursuivant un but commun, on négligeait, à Biarritz, de parti pris, tout ce qui même à titre de précautions aurait pu s’interpréter dans le sens d’un accord secret. Aussi M. de Bismarck, en rentrant à Berlin, n’eut-il pas, comme M. de Cavour après l’entrevue de Plombières, à soumettre à la sanction de son souverain un projet d’alliance offensive et défensive, ni même un projet de note résumant les déclarations qu’il avait faites à l’empereur, en échange de sa neutralité et de l’alliance italienne. Il ne rapportait au roi que des assurances verbales, mais qui, sorties de la bouche de l’empereur, étaient l’équivalent d’une convention écrite, et qui en outre avaient l’avantage de lui laisser sa liberté d’action et de lui réserver toutes les chances de la guerre.

Le comte Walewski, qui avait son franc parler à la cour, ne cachait pas l’inquiétude que lui causaient les pourparlers de l’empereur avec M. de Bismarck, et le rapprochement qui, sous notre