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malfaiteurs que les armoires contenaient des richesses manuscrites sans prix, les 30 volumes du trésor de Noailles, les 61 volumes des papiers de Voyer d’Argenson, les 5 volumes de la Vie des poètes par Colletet, les 700 volumes de la collection Gillet et Saint-Genis, ça ne les eût point arrêtés, car tout cela leur importait peu. — Ils jetèrent leur pétrole sur les rayons, parmi les papiers; ils répandirent le contenu d’un bidon sur le parquet, le Tirent couler jusqu’au palier de l’escalier, y mirent le feu et s’enfuirent. Avant de quitter son appartement, Bénot noua quelques paquets de linge qu’il ne laissa pas derrière lui.

Les flammes ne tardèrent pas à briser les vitres et apparurent au sommet du pavillon Richelieu. L’aspect du square Napoléon, du Carrousel, de la cour des Tuileries était effroyable. Le château n’était qu’un bûcher enveloppé par les flammes; le feu, glissant par les combles, consumait l’aile qui prend façade sur la rue de Rivoli; de l’autre côté, vers le bord de l’eau, il avait envahi la nouvelle salle des états et menaçait le pavillon de La Trémoille. Au ministère d’état, le dernier étage du pavillon Richelieu, la bibliothèque, brûlait. Çà et là, sur ces places immenses et désertes, quelques pauvres employés se sauvaient en levant les bras vers le ciel. — Au Louvre même, les conservateurs, muets d’horreur, regardant ce spectacle, placés derrière les fenêtres de leur cabinet, se demandaient si toutes nos collections d’art, si tous nos musées n’allaient pas périr.


V. — LA DÉLÉGATION AUX MUSÉES.

Au Louvre proprement dit, à l’ancien Louvre, dans le vaste palais quadrilatéral qui renferme nos musées, le temps avait paru long pendant la période de la commune. Les conservateurs avaient réuni leurs efforts pour empêcher les insurgés d’y pénétrer, de s’y installer, et ils y avaient réussi. La fédération des artistes, présidée par Courbet, avait essayé d’y tenir ses séances, mais elle n’avait pu vaincre de très courageuses, de très nobles résistances, et elle avait été réduite à aller bavarder dans les bureaux de l’ancien ministère des beaux-arts qui, après l’évolution du 2 janvier 1870, avait occupé le local du ministère d’état. La fédération des artistes n’émit pas une seule idée; elle fut d’autant plus impuissante qu’elle se croyait sérieusement un corps politique. M. Gerspach, qui l’a bien connue, en a parlé dans des termes qu’il est bon de citer : « Ceux qui avaient passé leur temps, dit-il, à critiquer l’administration n’ont rien trouvé de mieux à faire que de l’imiter; ils ont discuté des programmes, des règlemens, ont nommé des commissions, des sous-commissions, des délégations. Ils se sont attribué des indemnités : tant par séance,