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laissa apercevoir — un brun toit de chaume — et fit scintiller les vitres d’une fenêtre.

« Au pignon se balançait, comme grisée, — la verte enseigne de pampres de vigne, — et quand, tout joyeux, je prêtai l’oreille, — j’entendis un concert de chants et de violons.

« J’entrai bien vite et je m’assis, — seul près de ma bouteille; — autour de moi s’agitait la danse en bonds impétueux.

« Les filles étaient fraîches et jeunes — et avaient la taille souple; — alertes dans leurs pirouettes, légers dans leurs entrechats, — les danseurs étaient... des voleurs de chevaux... »


Le poète s’aperçoit qu’il est tombé au milieu d’une assez mauvaise compagnie; il n’en assiste pas moins avec intérêt aux ébats de ces larrons de la lande, à cette franche lippée de plaisir savourée en hâte entre deux alertes. Il écoute leurs chansons où se mêle une triste note d’angoisse; et, pensif, le cœur serré, il songe à la potence qui attend tous ces beaux danseurs, puis il sort de l’auberge :


« La lande était si muette, si nue; — au ciel seulement était la vie; — je voyais le troupeau scintillant des étoiles — et la pleine lune planant au milieu.

« Le chef de la bande se glissa à son tour hors du logis; — d’un air inquiet — il écouta tout autour dans la nuit, — puis il mit l’oreille à terre,

« Pour épier s’il n’entendrait pas la rumeur — de quelque danger prochain, — et si le sol ne trahirait pas sourdement — un galop de hussards accourant en hâte.

« Il n’entendit rien et resta debout, — à regarder les claires étoiles — et la claire lune brillante, — comme s’il eût voulu leur dire :

« O lune aux blancs habits d’innocence, — et vous, innombrables étoiles, — dans votre tranquille sécurité, — comme vous vous promenez heureuses ! »

« Il écouta de nouveau, puis s’élança, — en criant, vers l’auberge, — et la rudesse de sa voix éteignit — brusquement la joie de la danse.

« Et mon cœur n’avait pas battu trois fois — qu’ils étaient tous en selle, — et que du choc précipité de leur galopade — tremblait le sol tout à l’entour.

« Cependant les tsiganes étaient restés dans l’auberge, — les ardens compagnons, — et ils me jouèrent les vieux airs — de Rakoczy, le vieux rebelle. »


C’est dans ces pièces moitié lyriques et moitié descriptives que Lenau fait preuve de sa plus vive originalité. Il y montre son habileté de metteur en scène, sa façon toute personnelle de peindre un paysage, d’envelopper ses descriptions dans une atmosphère à la