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Il y a quelques mois à peine, au-delà des Pyrénées, disparaissait prématurément une jeune et gracieuse reine qui venait de ceindre la couronne, qui était faite pour être l’ornement d’un règne naissant. Aujourd’hui c’est l’aïeule du roi Alphonse, la mère d’Isabelle II et de madame la duchesse de Montpensier, qui vient de s’éteindre en France. La reine Mercedes, c’était le présent aimable, c’était aussi une promesse d’avenir pour la monarchie constitutionnelle espagnole. La reine Marie-Christine, c’était le passé, ou du moins toute une période du passé pour l’Espagne nouvelle déjà vieille d’un demi-siècle.

Depuis longtemps cette princesse, née des Bourbons de Naples, devenue Espagnole par son mariage avec le roi Ferdinand VII avant 1830, arrivée à l’âge de soixante-douze ans, vivait éloignée de Madrid et de la politique. Sauf quelques excursions au-delà des Pyrénées, et la dernière avait été à l’occasion du mariage de son petit-fils, elle habitait la France et Paris. Elle s’était retirée dans la vie privée : c’était, si l’on veut, une reine en retraite! Mais elle avait eu son jour, son rôle public, lorsqu’en 1833, jeune veuve du roi Ferdinand, elle devenait régente d’Espagne, la reina gobernadora, au nom de sa fille Isabelle II, qui n’avait que trois ans. La fortune des choses avait fait de cette royauté d’une enfant, sauvegardée par une mère énergique, la personnification des instincts, des intérêts libéraux de l’Espagne en face de l’absolutisme qui levait son drapeau dans les montagnes basques, comme il l’a relevé depuis dans d’autres circonstances. Cette régence durait sept ans, et pendant ces sept années remplies de luttes sanglantes, d’agitations révolutionnaires, Marie-Christine avait eu plus d’une fois à passer par des crises terribles. Elle avait vu la guerre dans les provinces du nord, dans la moitié de l’Espagne, les mouvemens populaires à Madrid, les insurrections militaires, jusqu’à des séditions de sergens venant l’assaillir dans le palais de la Granja en 1836. Elle avait traversé ces temps orageux en femme de tête et de courage, restant la reine des libéraux, de la jeunesse, essayant de rallier tous les esprits modérés, et lorsqu’en 1840 elle disparaissait devant une révolution, la guerre civile était terminée, l’absolutisme carliste était vaincu. En réalité, c’est de cette régence de Marie-Christine que date l’Espagne constitutionnelle. C’est dans ces années que se sont formés et ont grandi la plupart des hommes, généraux, politiques, écrivains, qui ont eu un nom de notre temps. Ces jours sont passés, bien d’autres événemens se sont succédé, le règne d’Isabelle, comme la régence de sa mère, a fini par une révolution. Tout a changé, et si l’Espagne, revenue à la monarchie avec le jeune roi Alphonse, entre dans une voie nouvelle, elle n’a aucune raison d’oublier cette partie de son histoire contemporaine, qui se confond avec son premier essor libéral et intellectuel, dont la mort de la reine Christine évoque le souvenir.


CH. DE MAZADE.


Le directeur-gérant, C. BULOZ.