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matière d’administration pure. C’était le chef de l’état qui exerçait la juridiction en approuvant les projets de décision qui lui étaient présentés. Il n’y avait là, nous l’avons dit, qu’une fiction, car dans la pratique les avis du conseil étaient toujours approuvés; aussi le législateur s’est décidé en 1872 à faire disparaître des apparences dont on abusait pour contester les garanties données par la juridiction du conseil. Mais c’est précisément la fiction constitutionnelle d’une juridiction exercée par le souverain qui a permis au conseil de créer le recours pour excès de pouvoirs et de lui donner tous les développemens que nous allons signaler. Parlant au nom du souverain, chef de tous les agens de l’administration, assuré que ses décisions ne rencontreraient aucune résistance quand elles auraient été approuvées, il n’en a eu que plus de hardiesse pour protéger les droits des citoyens et il a, par cela même, rendu les plus grands services à l’administration.

Il y a des phases bien diverses dans la jurisprudence. Au début, la théorie se borne à un recours direct contre les arrêtés des préfets qui sont attaqués pour incompétence, parce qu’ils ont empiété sur les pouvoirs des tribunaux de l’ordre judiciaire, ou des juridictions administratives placées à côté ou au-dessus d’eux, les conseils de préfecture et les ministres. On trouve une dizaine de décisions de cette nature rendues sous le consulat et l’empire, et la plupart ont été insérées au Bulletin des lois, non pas pour leur donner force de loi, mais pour éclairer les fonctionnaires sur la marche qu’ils devaient suivre dans des circonstances analogues.

Sous la restauration, le nombre des décisions de la même nature n’est pas très considérable; mais il y en a deux qui ont une grande importance. La première est une ordonnance du 28 novembre 1818, rendue sur un pourvoi formé contre un arrêté de préfet relatif à un moulin vendu nationalement et dans laquelle la théorie est écrite pour la première fois en ces termes : «C’est devant nous et en notre conseil d’état que doivent être déférés les actes administratifs attaqués pour incompétence et excès de pouvoirs. »

En 1829, le conseil d’état fut amené à faire un nouveau pas dans la voie qu’il s’était tracée. Il s’agissait de savoir si les décisions du jury de révision institué pour le recrutement de l’armée en vertu de la loi du 10 mars 1818 pouvaient être l’objet d’un pourvoi devant le conseil. D’après l’article 13 de la loi, ces décisions étaient définitives; mais ne devait-on pas admettre les recours en cas d’incompétence, d’excès de pouvoirs et même de violation de la loi? La question avait été débattue sur la demande du ministre de la guerre, au lendemain de la promulgation de la loi de 1818. Un avis des comités de la guerre et de législation réunis, en date du 19 avril 1819,