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on le disait alors, qu’un mot servant à couvrir un système inavoué, ou l’absence de tout système.

C’est sous ces impressions que M. Thiers, dans un discours d’une merveilleuse lucidité, prit à partie la politique impériale et la montra en rupture ouverte avec les traditions qui avaient assuré à la France sa grandeur. Il fit une critique amère de la condescendance excessive qu’on avait eue envers l’Italie, flétrit tout ce qui s’était passé en Allemagne, se prononça énergiquement pour la conservation de ce qui restait de l’ordre des choses établi par le traité de Vienne, et somma le gouvernement de l’empereur d’empêcher à tout prix l’alliance italo-prussienne. Le traité était signé depuis le 8 avril. M. Thiers, qui avait tant d’attaches dans la diplomatie, pouvait-il l’ignorer?

Son éloquente protestation en faveur de la paix provoqua au sein du corps législatif une véritable manifestation, et elle eut dans le pays, qui la considérait comme l’expression du patriotisme le plus élevé et le plus éclairé, un énorme retentissement. Dans les sphères gouvernementales, on ne voulut y voir qu’une manœuvre perfide ayant pour but de contrarier et de paralyser l’empereur dans l’exécution de ses desseins. Elle eut pour conséquence immédiate la protestation d’Auxerre contre les traités de 1815 qui ne fit que précipiter les événemens, et plus tard, par l’action qu’elle avait exercée sur l’opinion publique, elle gêna les résolutions du gouvernement. « La perspective d’agrandissemens considérables, écrivait M. Nigra, ne parvient pas à décider l’empereur à entrer en guerre contre le vœu du pays, après les manifestations du corps législatif. »


IV. — LES NÉGOCIATIONS RELATIVES AU CONGRÈS.

La réponse de l’empereur au maire d’Auxerre[1], que les uns appelaient un coup de canon tiré en pleine Europe, et que les autres tenaient pour une réplique personnelle au discours de M. Thiers, produisit à Berlin des impressions diverses. Cette réponse vint à point nommé fortifier le parti de la guerre et raviver les espérances de la cour, qui se plut à la considérer comme un encouragement formel donné à la politique de M. de Bismarck. On s’en réjouit d’autant plus vivement qu’on avait pu craindre, après les manifestations significatives du corps législatif et en face du langage hostile de nos journaux, que le souverain, sous la pression de l’opinion publique, ne se vît forcé malgré lui de s’inspirer des sentimens

  1. L’empereur déclarait détester, comme la majorité du peuple français, les traités de 1815, «dont on voudrait aujourd’hui, disait-il, faire l’unique base de notre politique extérieure. »