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Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 29.djvu/293

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j’ai la confiance qu’elle triomphera de ses ennemis, ou qu’elle remportera du moins des succès assez éclatans pour nous permettre d’obtenir une paix honorable. » M. de Bismarck avait trop compté toutefois sur les paroles d’Auxerre; loin d’effacer l’impression du discours de M. Thiers, elles avaient éveillé en France les plus vives anxiétés. On comprenait instinctivement que les encouragemens donnés au cabinet de Berlin pouvaient amener un changement d’équilibre politique des plus menaçans pour notre sécurité.

L’empereur sentait bien que sa politique manquait de netteté, mais la France ayant proclamé le principe des nationalités, il ne pouvait pas, sous peine d’inconséquence, s’opposer ouvertement aux aspirations de l’Allemagne. Il essaya néanmoins de réagir contre la marche des événemens; inquiet des interpellations annoncées au corps législatif, il avait redoublé d’efforts pour obtenir du cabinet de Vienne la cession amiable de la Vénétie, et un instant il put croire au succès de ses pressantes démarches. Le 4 mai, le lendemain même de la séance de la chambre, il faisait appeler M. Nigra[1], pour lui annoncer qu’enfin l’Autriche se montrait disposée à céder la Vénitie, à la condition que l’Italie et la France, restant neutres, la laisseraient s’indemniser sur la Prusse par la conquête de la Silésie. La cession de Venise devait être faite à la France, qui la rétrocéderait à l’Italie; il y avait une réserve toutefois : les deux faits de la cession et de la conquête devaient être simultanés, l’une étant la condition sine qua non de l’autre. L’empereur ajoutait que la proposition était formelle, et il demandait au ministre du roi Victor-Emmanuel s’il croyait son gouvernement en mesure de se délier des engagemens pris avec la Prusse. L’offre était séduisante, mais tardive. Si elle s’était produite quelques jours plus tôt, elle aurait eu bien des chances d’être agréée, car les rapports entre Berlin et Florence étaient alors profondément altérés. Le traité du 8 avril, à peine signé, avait soulevé de graves dissentimens.

L’alliance, limitée à trois mois, était offensive et défensive, et les deux parties s’étaient engagées à se défendre mutuellement si l’une d’elles était attaquée avant l’expiration du délai. Le gouvernement prussien, qui ne prenait conseil que de ses intérêts et de ses convenances, n’en prétendait pas moins, bien que l’Italie se fût toujours refusée à la signature d’un traité générique, que la convention, n’étant pas un acte bilatéral, n’obligeait pas au même degré les deux contractans; il disait s’être réservé l’initiative des hostilités et ne pas vouloir se laisser entraîner dans la guerre au gré du cabinet de Florence. Il allait même jusqu’à trouver que les armemens de l’Italie étaient trop précipités. Cette attitude étrange,

  1. Rapport du chevalier Nigra au prince de Carignan.