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l’Italie, qui conservait toute sa liberté d’action. L’empereur n’avait pris d’engagement que pour lui-même. Le traité portait la date du 9 juin.

Le prince Napoléon, à ce moment, ne se bornait pas à critiquer les tendances autrichiennes de notre politique extérieure et à prêter au cabinet de Vienne les arrière-pensées les plus perfides; il exerçait toute son influence sur l’empereur pour l’entraîner vers le cabinet de Berlin et lui faire accepter l’idée d’une triple alliance avec la Prusse et l’Italie. M. Nigra s’associait à ces démarches, que M. de Goltz, qui exploitait avec une rare habileté les divisions de la cour, encourageait sous main. « Une dernière tentative fut faite, nous dit M. Migra dans son rapport au prince de Carignan, d’accord avec le prince Napoléon, pour décider l’empereur à conclure d’ores et déjà une triple alliance contre l’Autriche. »

C’est cette tentative que M. de Bismarck incriminait dans sa circulaire de 1870. « Avant la guerre, disait-il, des parens de l’empereur sont venus me proposer une série de transactions ayant pour objet des agrandissemens réciproques. Il s’agissait tantôt du Luxembourg, des frontières de 1814 avec Landau et Saarbruck, tantôt de projets plus étendus, embrassant même la Suisse française et le Piémont, où il était question de tracer la ligne frontière des deux langues. Ces demandes se traduisirent sous la forme d’un projet d’alliance offensive et défensive dont les points principaux étaient résumés dans un sommaire qui est resté entre mes mains[1]. »

Nous savons aujourd’hui à quoi nous en tenir sur les propositions aventureuses dont le gouvernement de l’empereur aurait obsédé le cabinet de Berlin. M. Nigra, avec une franchise qui l’honore, a revendiqué, pour lui et pour le prince Napoléon, l’initiative et la responsabilité de ces pourparlers confidentiels que le comte de Goltz, tout autorise à le croire, inspirait et encourageait secrètement. Le prince Napoléon demandait l’impossible, mais il était dans la logique de la situation. Il craignait qu’une politique expectante, se réservant sa liberté d’action, ne nous réduisît à une inaction absolue au moment opportun, et il pensait qu’il était plus prudent de formuler ses exigences pendant qu’il en était temps, et de s’unir franchement à la Prusse et à l’Italie pour s’assurer le fruit d’une victoire commune.

A qui faut-il attribuer l’insuccès de ces tentatives? Est-ce au patriotisme de M. de Bismarck ou à la loyauté de l’empereur, qui, fidèle à ses déclarations, ne voulait prendre parti ni contre l’un ni contre l’autre des belligérans? « L’empereur, écrivait M. Nigra au prince de Carignan, préfère, comme je l’ai déjà dit, ne pas s’engager

  1. Circulaire prussienne du 29 juillet 1870.