teurs incorrigibles, incapables d’apprécier les bienfaits d’un gouvernement libéral. Il manque aux Irlandais, disent-ils, l’esprit positif qui règne en souverain dans l’empire britannique ; ce qu’on leur concède, ils en abusent ; ce qu’on leur refuse, ils le réclament à main armée. De telles gens ont-ils donc donné la preuve qu’ils soient aptes à se gouverner eux-mêmes ? Le caractère d’un peuple se révèle par les grands hommes auxquels il accorde la popularité. Qu’ont été depuis cinquante ans les hommes populaires de l’Irlande ? Un orateur fougueux, O’Connell, qui se vantait de mener un attelage à quatre chevaux à travers les articles du code ; un illuminé, le père Mathew, dont les sermons contre l’ivrognerie n’ont eu que le succès d’un jour sans lendemain ; un conspirateur égoïste, Stephens, qui n’a réussi qu’à troubler le pays dix années durant sans aucun résultat. C’est de la pitié plus encore que de la colère qu’inspirent ces agitateurs à courte vue. C’est avec une main de fer, concluent les conservateurs anglais, qu’il convient de régir une nation dont les tendances politiques sont si fausses.
Ces descriptions affligeantes ne sont plus exactes, paraît-il. L’auteur de New Ireland, M. Alexander M. Sullivan, bien qu’Irlandais lui-même, ne méconnaît pas les défauts innés de ses compatriotes, il blâme avec impartialité les fautes qu’ils ont commises ; mais il prétend que peu à peu l’éducation, l’expérience, leur ont appris à se mieux conduire. L’Irlande d’aujourd’hui n’est plus celle d’O’Connell, ni celle de 1848 ; le fenianisme n’a été qu’une illusion passagère ; la nation a renoncé depuis longtemps à ses rêves d’indépendance absolue ; elle réprouve les querelles de religion ; elle a horreur des jacqueries et des sociétés secrètes ; devenue raisonnable, depuis que la liberté du culte et de l’instruction lui a été octroyée, elle ne demande plus que d’être libre, comme le sont l’Australie, le Canada, de légiférer elle-même en toutes les affaires qui n’intéressent pas le reste de l’empire. Elle veut en conséquence un parlement irlandais s’assemblant à Dublin, et non pas à Londres, élu par tous les citoyens, sans distinction de caste ou de croyance. Tel est le programme dernier du home rule dont M. Sullivan est devenu, par les dernières élections, l’un des membres influens dans le parlement. Les deux gros volumes qu’il vient de publier sont un plaidoyer pittoresque par lequel il nous montre le progrès des idées depuis un demi-siècle. Peut-être le tableau est-il flatté ; du moins le sentiment dont l’auteur s’inspire est toujours honnête. Sans se laisser tout à fait persuader, on ne peut se défendre en le lisant d’éprouver une vive sympathie pour la cause dont il est le représentant convaincu.