physionomie de ce héros du catholicisme irlandais, peuvent nous faire oublier ce qu’étaient ses amis les plus dévoués. Prodigues, fanfarons, duellistes enragés, les patriotes d’il y a quarante ans ne cherchaient à se rendre populaires ni par l’intégrité de la vie publique, ni par la dignité de la vie privée. Les distributions d’argent, les libations, les combats à coups de bâton décidaient la victoire dans les élections lorsque l’influence des prêtres ne suffisait pas à l’assurer. Au parlement, le ministère abandonnait à ses fidèles tous les emplois dont le gouvernement dispose; dans son comté, le député les distribuait entre ses partisans. On le sait, la publicité de la presse est le seul remède à de tels abus. Or en Irlande les écoles étaient presque désertes; on ne savait point lire; c’est à peine si quelque journal pénétrait de temps à autre dans les campagnes.
En outre de ces grossiers patriotes qui composaient « sa vieille garde, » O’Connell réunit autour de lui, vers la fin de sa vie, des jeunes gens, frais éclos de l’université, imbus des souvenirs classiques, enflammés d’un ardent amour pour la patrie, pleins d’illusions, si l’on veut; mais ces chevaliers de la jeune Irlande avaient la généreuse ambition de ne triompher que par des moyens honnêtes; ils voulaient, de plus, imprimer au mouvement national plus d’activité. Ils prenaient volontiers pour modèle l’illustre Grattan, qui, dans les dernières années du XVIIIe siècle, avait été dans le parlement national le type de l’orateur et du citoyen.
Cette petite phalange d’enthousiastes fonda tout d’abord (1842) un journal, la Nation, qui est resté jusqu’à nos jours le défenseur des idées modernes à travers toutes les épreuves que la politique irlandaise a traversées depuis cette époque. Dans les bureaux de ce journal se réunissaient tous ceux qui prétendaient régénérer la patrie. Il y avait dans le nombre des poètes dont les ballades pénétrèrent bientôt jusque dans les districts les plus reculés. Tout en professant un profond respect pour O’Connell, ils ne cachaient point que ses adhérens ordinaires n’étaient pas de leurs amis. Bons catholiques dans le fond de l’âme, ils rêvaient d’enlever au clergé des paroisses l’influence excessive qu’il exerçait dans les affaires nationales. Pleins de mépris pour les pratiques vénales de leurs vieux coreligionnaires, ils se promettaient de ne point faire le trafic des places et des honneurs. Ils l’avouaient tout haut; c’était par la vertu qu’ils voulaient conquérir la liberté.
Quelque sceptique que l’on soit pour cet enthousiasme d’une belle jeunesse, on ne peut s’empêcher de convenir que la jeune Irlande de 1842 comptait dans ses rangs des esprits d’élite. Dispersés plus tard par les événemens, ils ont fait fortune un peu partout. L’un des fondateurs du parti, Charles Gavan Duffy, parti pour. Melbourne